« Brooklyn Affairs » d’Edward Norton

Un détective privé (de retenue)

Brooklyn Affairs de et avec Edward Norton

Si l’on connaît bien l’acteur Edward Norton, remarquable dans « Fight Club » et tant d’autres films, on sait moins qu’il est aussi passé derrière la caméra. La première fois, c’était en 2000 avec « Au nom d’Anna », l’histoire d’une jeune femme que convoitaient deux amis, l’un rabbin (Ben Stiller) et l’autre prêtre (Norton). Dix-neuf ans après, il remet le couvert avec « Brooklyn Affairs ». Il se donne encore (et il a raison) l’un des rôles principaux, celui d’un jeune New-Yorkais qui dit de lui-même qu’il ne tourne pas très rond :

J’ai des fils dans le crâne. Des fils, mec. Des tics. Une vraie bête de foire.

Lionel, son personnage, souffre du syndrome de Gilles de la Tourette. Autant dire qu’à l’écran, ça donne un gars qui réfléchit bien et qui, soudain, part en vrille, est secoué de tics et de grimaces, répète les mots, touche plusieurs fois l’épaule de son interlocuteur. Et ces insultes qui, soudain, fusent et qu’il ne contrôle pas car il contrôle finalement peu de choses, Lionel, sinon son intelligence. Là, il est du genre imbattable, à se souvenir de la moindre parole, à comprendre assez vite les situations les plus emberlificotées et à remettre d’aplomb ce qui ne l’est pas. Tout ce qui, finalement, dépend aussi de sa maladie puisqu’il a besoin que tout soit ordonné, besoin parfois de ranger dans l’ordre les billets éparpillés dans son portefeuille.

Edward Norton

Edward Norton… fils de pute…

C’est un beau personnage que s’est octroyé Edward Norton, un personnage qui fait toute la saveur de ce « Brooklyn Affairs », toute la saveur aussi du polar dont est tiré le film, « Les orphelins de Brooklyn », écrit par Jonathan Lethem. Le film noir ne serait-il pas mort ? Attention, pas le film de gangsters mais le vrai film noir, celui avec détectives privés, intrigues compliquées, pardessus et chapeaux feutres, poches alourdies par les flingues, le film noir digne du « Faucon maltais » et du « Grand sommeil ». Et bien oui, le genre semblait au repos, quasi moribond, et voilà qu’il resurgit et nous revient en pleine poire. On n’avait peu connu ça depuis la brillante relecture qu’en avait fait Polanski dans « Chinatown », en 1973.

Bruce Willis


Et cet exemple-là n’est pas pris au hasard. Car « Brooklyn Affairs » ressemble fort à l’enquête avec laquelle Jack Nicholson avait fort à faire, quarante-six ans avant. Dans « Brooklyn Affairs » comme dans « Chinatown », un privé se trouve en butte à des malversations immobilières. Les deux films sont secoués par des révélations familiales de dernière minute et sont illustrés de blagues interrompues. Si, dans « Chinatown », Nicholson achève la sienne une demi-heure après (l’histoire du mec à qui ses copains conseillent de baiser comme un Chinois), dans « Brooklyn Affairs », Norton ne nous donnera jamais la chute de l’histoire de sa pieuvre.

Gugu Mbatha-Raw et Edward Norton

La tourette prend garde

La trame de « Brooklyn Affairs » est bien menée et on la suit sans problème jusqu’au bout tout en se rendant bien compte que tout ce qui en fait son sel, son originalité, c’est le personnage de Lionel. Sans lui, sans le syndrome de Tourette, le scénario ne serait qu’un polar de plus. Mais un héros qui ponctue toutes ses phrases d’inepties, ça vous pose un film. Il est vrai qu’on est en droit de se demander si Norton n’utilise le handicap qu’à de seules fins comiques. Car ces séquences dans lesquelles son héros se met à faire et dire n’importe quoi peuvent être jugées amusantes — d’ailleurs sa partenaire, Gugu Mbatha-Raw, prend un fou-rire dont on peut se demander s’il est voulu par le scénario ou naturel. On peut aussi trouver le principe un peu facile voire politiquement incorrect. La réponse est dans votre façon d’appréhender les choses.

William Dafoe

Avec Edward Norton une distribution 4 étoiles

L’intelligence d’Edward Norton est aussi d’avoir transposé un récit contemporain dans les années cinquante, pour mieux lui donner les décors, les costumes et le style d’un film noir. Côté casting, on est servi puisqu’aux côtés de Norton, on retrouve Bruce Willis, Alec Baldwin, Willem Dafoe, Bobby Cannavale et la ravissante Gugu Mbatha-Raw. Que du beau monde.Reste la question du titre français. Pourquoi traduire le titre américain original (« Motherless Brooklyn ») par le peu français « Brooklyn Affairs » ? Pourquoi, quitte à donner un titre qui sonne anglais, ne pas conserver l’original ? Vous me direz que ce n’est pas nouveau : « Midnight Cowboy » est bien devenu en français « Macadam Cowboy », « Blue in the Face » s’est appelé « Brooklyn Boogie » et « The Hangover » est plus connu sous le titre de « Very Bad Trip ».

Touchez-vous les traducteurs

Lors de sa parution en France, le titre du roman a lui-même été incorrectement traduit puisqu’il est devenu « Les orphelins de Brooklyn ». Or, si le sujet traite d’une bande d’orphelins élevés à Brooklyn puis devenus détectives, l’appellation originale joue sur le fait que le héros, Lionel, est surnommé Brooklyn, comme son quartier d’origine. C’est lui l’orphelin du titre, tout autant que ses copains. Sans doute que les traducteurs en question ont pris des cours d’anglais dans cette école bon marché, vous savez, cet établissement où, lorsque vous sonnez à la porte et demandez si c’est bien ici les cours d’anglais, vous vous entendez répondre : « If, if. Between. » CQFD.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.