Avant de devenir Marie-Jeanne Guillaume, il s’appelait Billie Joe MacAllister. Bobby Gentry sort ce titre en 1967. A peine sur le marché, le titre fait un carton aux États Unis.
Billie Joe MacAllister
L’accompagnement musical est sobre. Enregistrée en une heure, Bobby Gentry s’accompagne à la guitare et laisse entendre quelques violoncelles. Sur un rythme de blues-folk, cette chanson raconte la vie dans une ferme. Pas de refrain, pas de couplet, peu de rimes, une simple narration. C’est l’heure du repas, la famille est autour de la table et papote avant de retourner dans les champs. Entre deux plats, la mère annonce nonchalamment la mort de Billie Joe MacAllister. Le père entre deux portions de black eyed peas réponds que le Billie Joe n’était pas une lumière. La narratrice est la petite amie de Billie Joe. Prends ça dans tes dents !
Il s’est jeté du haut du pont dans la rivière Tallahatchie. On ne sait pas trop pourquoi mais la narratrice est troublée d’autant plus qu’on la vu avec Billie, la veille de sa mort, jeter quelque chose dans la rivière Tallahatchie. Puis le repas continue, la chanson aussi, le trouble est passé, le temps a fait son œuvre. Le père est mort, le frère a ouvert un magasin avec sa femme à Tupelo.
Deux questions essentielles dans cette chanson. Qu’est-ce qu’ils ont jeté du pont et pourquoi Billie Joe s’est suicidé le lendemain ? L’auteure connaît les réponses. Elle ne les dévoilera pas. La chanson morbide restera un mystère et sa chanteuse prendra sa retraite musicale à 40 ans. Mais auparavant, Bobbie Gentry déclarait en interview dans le Billboard :
La chanson est une sorte d’étude de la cruauté inconsciente. Mais tout le monde semble plus préoccupé par ce qui a été jeté du pont que par l’insouciance des personnes exprimées dans la chanson. Ce qui a été jeté du pont n’est pas si important.
Tout le monde a une idée différente de ce qui a été jeté du pont – des fleurs, une bague, même un bébé. Quiconque entend la chanson peut penser ce qu’il veut, mais le vrai message de la chanson, s’il doit y avoir un message, tourne autour de la manière nonchalante dont la famille parle du suicide. Ils sont assis là, à manger leurs petits pois et leur tarte aux pommes et à parler, sans même se rendre compte que la petite amie de Billie Joe est assise à la table, un membre de la famille.
Bobbie Gentry à Fred Bronson dans le Billboard
Et débrouillez-vous avec ça.
Marie-Jeanne Guillaume
En 1967, Joe Dassin commande une version française à Jean-Michel Rivat et Franck Thomas. Côté arrangement musical, ils ne font pas la révolution et reste proche de l’original. Côté paroles, ils ont le génie – oui, le génie – de traduire celles de Bobbie et de l’adapter au terroir. Ainsi, Billie Joe MacAllister devient Marie-Jeanne Guillaume, l’action se passe le 4 juin au lieu du 3, le Tallahatchie Bridge devient le Pont de la Garonne et Choctaw Ridge le bled paumé des US se transforme en Bourg-les-Essonnes, bled complètement inventé et tout aussi paumé mais côté Garonne. A vous de trouver les autres subtils changements.
L’histoire est la même. Toujours un suicide, celui d’la Marie-Jeanne et toujours un truc jeté du haut du pont de la Garonne à Bourg-les-Essonnes. Racontée brut de décoffrage, on est en plein fait divers dans la France profonde. Et toujours les auditeurs acharnés qui se bouffent le nez pour savoir si c’est un simple repas de famille pendant lequel la famille papote de tout et de rien et du suicide de Marie-Jeanne, entre deux bouchées de gratin; ou si ce repas est plombé par une sordide histoire d’amour entre le narrateur et la jeune fille.
Pour ma part, c’est simple, le mec a engrossé la Marie, qui s’est fait avorter, ou pas, ils ont jeté le fœtus ou le bébé, selon, dans la Garonne et la Marie-Jeanne prise de remords s’est suicidé le lendemain.
Ou alors, apprenant la grossesse le narrateur a envoyé balader la Marie-Jeanne – ah non, pas d’ça chez nous – qui fait sauter au cintre le morpion, le jette dans la Garonne et le suit le lendemain s’apercevant qu’elle n’a plus ni chiard, ni mec.
Quoi qu’il en soit cette adaptation est très réussie, l’ambiance est plombante, le repas copieux, la conversation banale et Y a bien encore deux hectares à labourer dans le champ de la canne. Donc magnez-vous les gars de bouffer, on n’a pas qu’ça à foutre. C’est certainement une des chansons la plus triste du répertoire français.
Reprises de volée
Que ce soit pour la version anglaise ou française, beaucoup s’y sont collés : Sinatra, Eddy Mitchell, Michel Fugain, Ella Fitzgerald, Garou, Nancy Wilson…
Bob Dylan a écrit une parodie où il est question de linge qui sèche, de vice-président pas au mieux et on est en janvier. Et il y a même eu un film signé Max Baer en 1976 complètement inspiré de la chanson. C’est écrit sur l’affiche :
What the song didn’t tell you, the movie will.
Les deux versions que je préfère sont celles de Jean-louis Murat côté Marie-Jeanne et celle de Mercury Rev qui fait chanter l’Ode To Bille Joe par Lucinda Williams. Et c’est du lourd.
Murat propose un arrangement musical plus éléctro, presque sautillant avec une rythmique entre jazz et Brasil. Mais la voix remet tout le monde d’accord et Jean-Louis nous plonge avec talent dans ce fait divers.
En 2019, le groupe américain Mercury Rev sort un album hommage au répertoire de Bobby Gentry en conviant de nombreux invités, chanteuses pour la plupart. C’est Lucinda Williams qui s’y colle pour cette version glaçante d’un Billy Joe plus psychopathe que bouseux à Choctaw Ridge. Faut dire que la voix de la Williams mixée très en avant, affublée d’un écho dérangeant vous attrape par l’objet du délit et vous donne envie de sauter du pont, n’importe quel pont.
Je ne connaissais pas la version Murat. Superbe! Merci pour la découverte.
My pleasure !