Au pays des merveilles
Vous savez quoi, je m’en fous. Dites ce que vous voulez, ça ne m’atteindra pas. Ouais, je vous vois venir. Tout ça parce que j’ai profité du confinement pour visionner une série de films qui avaient bercé mon enfance et le début de mon adolescence. Et que j’ai revus avec mes yeux d’enfant ou de presque adolescent. C’est ça, foutez-vous de moi avec ces madeleines dont le grand Marcel lui-même aurait ricané, moi, je vous le dis tout net, ça m’a fait du bien de me replonger dans toutes ces œuvres que j’avais découvertes, émerveillé, sur ma télé noir et blanc des années 70. Enfin, celle de mes parents. Des films de cape et d’épée, style « Le masque de fer » (1962) d’Henri Decoin. Des mélos feuilletonnesques à costumes style « Les mystères de Paris » (1962) d’André Hunebelle (une vraie bonne sacrée surprise). Des westerns style les géniaux « Une aventure de Buffalo Bill » (1936) de Cecil B. deMille ou « Les implacables » (1955) de Raoul Walsh ou le moins connu « Énigme du lac noir » (1951) de Michael Gordon (celui-là, je ne l’avais jamais vu). Ou encore, un must, « Jesse James, le brigand bien aimé » (1939) de Henry King, avec un début tellement brillant, tellement anticapitaliste, interprété par un Henry Fonda surpuissant, qui joue sobrement un lymphatique mâcheur de chique en lutte contre les méchants extorqueurs de la compagnie de chemins de fer. À croire qu’il rode ici le rôle qu’il tiendra un an plus tard dans « Les raisins de la colère ». Détail amusant : à cette époque, quand quelqu’un entrait masqué dans une banque, c’était un bandit. Aujourd’hui, la police vous recommande de le faire, pour ne contaminer personne. O tempora o mores soupirait le vieux pirate dans Astérix.
Mais la vraie bonne raison pour laquelle j’ai eu envie de vous enquiquiner avec mes souvenirs, c’est ce petit joyau dont je gardais un souvenir attendri et que j’ai revu avec délectation : « Jason et les Argonautes » (1963) de Don Chaffey. Un film qui, dans mon panthéon de films merveilleux, se place au sommet avec le fabuleux « Voleur de Bagdad » (1940) de Michael Powell, à un chouïa des trois Sinbad truqués par le grand Ray Harryhausen : « Le septième voyage de Sinbad » (1958), « Le voyage fantastique de Sinbad » (1974) et « Sinbad et l’œil du tigre » (1977). Ceux-là quasiment à égalité avec « Voyage au centre de la terre » (1959), « Vingt mille lieues sous les mers » (1954) ou « Le monde perdu » (1960).
Tout ça pour vous dire que j’ai revu Jason, pas l’ignoble mec confiné dans son lac avec masque de « Vendredi 13 », non Jason, celui des Argonautes et, comme Alice, je me suis retrouvé au pays des merveilles.
Le grand Ray
Pour aller chercher (en fait, voler) la Toison d’or, qui est en fait une vieille peau de bique moisie ravivée par un nappage doré, Jason et ses potes vont se retrouver confrontés à un bestiaire monstrueux dont ils vont se défaire avec plus ou moins de mal : un géant de fer, des harpies, une hydre, des squelettes, etc. Et que dire de ce Triton géant qui surgit de la mer au moment où on ne l’attendait pas ? Tout cela sous l’ œil des dieux de l’Olympe qui se joue des destinées humaines. Des dieux curieusement pas dupes de leur destinée, puisque Héra, coquine, lance à Zeus un truc du style : un jour, nous n’existeront plus pour personne. Ce qui a forcément calmé les bonds que les chrétiens auraient pu faire dans la salle.
Bon, une fois arrivé en Colchide (d’où la chanson, Colchide dans les près…), Jason va forcément rencontrer Médée et là, faut l’avouer, les scénaristes font preuve d’un sérieux coup de mou. Ce n’est pas qu’elle ne soit pas jolie, la Médée, jouée par Nancy Kovack, mais le traitement de son personnage est très conventionnel. Peu importe, les inconditionnels de l’héroïne auront tout le loisir de se reporter sur le « Médée » de Pasolini et la prestation de la Callas dans ce rôle.
Que les plus jeunes ne viennent pas me baver sur les rouleaux en ricanant devant les magiques effets spéciaux du maître Ray Harryhausen. Qui, lui-même, était redevable à l’autre maître qu’était Willis O’Brien, créateur du premier « King Kong » en 1933. Tout est réalisé ici en stop-motion, c’est-à-dire prise de vue image par image, avec un sens du détail et une imagination poétique que ne retrouveront jamais tous les génies de l’informatique qui œuvrent par centaines sur le moindre blockbuster Marvel. Quasiment tout seul, Harryhausen créait et prenait son temps pour le faire. C’est tellement réussi que, dans un bonus, tous les grands cinéastes d’aujourd’hui lui rendent hommage : Joe Dante, John Landis, James Cameron, Tim Burton, Steven Spielberg, Guillermo Del Toro, Peter Jackson, Terry Gilliam, etc.
« Jason » est réalisé par le Britannique Don Chaffey, dont l’autre titre de gloire est d’avoir pourvu la sculpturale Raquel Welch d’un seyant bikini en léopard dans « Un million d’années avant J.-C. » (1966). Mais il a aussi filmé les aventures plaisantes de « La reine des Vikings » (1967) et signé un curieux western english, « Charley le borgne » (1973), une étonnante fable anti-raciste, symbolique, géniale et épurée (de nous autres).
Don Chaffey, l’excellence
Alors, refaisons les comptes. L’addition Jason + Harryhausen + Don Chaffey ne peut que donner du bon. Du très bon. De l’excellent. Vous faites moins les malins, maintenant, hein ?
Bon, c’est vrai que depuis a été réalisée une mini-série, avec Dennis Hopper, Frank Langella et Natasha Henstridge, datant de 2000. Sans doute que les effets spéciaux paraîtront moins datés mais qu’importe. Le cousu main de Ray Harryhausen reste inoubliable.
Un dernier mot sur l’interprète de Jason, Todd Armstrong. Hormis ce film, il n’apparut dans rien de bien excitant. Mais après tout, la Toison d’or suffit bien à une carrière. Ce qui ne fut pas l’avis du pauvre Todd qui, en 1992, préféra mettre fin à ses jours. Comme quoi il ne suivit pas le conseil proféré par Sénèque dans son « Médée » : « Quand on n’espère plus, c’est alors qu’on ne doit pas désespérer. »