C’est en 2009 que l’Organisation mondiale de la santé reconnut l’existence d’un ensemble de signes cliniques et de circonstances d’écarts à la norme. On parla alors de syndrome Tarantino du nom du cinéaste qui, cette année-là avec « Inglourious Basterds », montra combien la réalité pouvait être corrigée en fonction de ses propres appréciations. Ainsi, dans ce film, Hitler et sa clique de nazis étaient décimés dans un cinéma par une résistante française et une cohorte de vaillants soldats américains. Ces comportements révélateurs ne furent pas taxés par l’OMS de « révisionnistes », tellement fut applaudi le fait de pouvoir buter allègrement les infâmes qui pourrirent l’existence de la planète de 1933 à 1945.
La maladie aurait pu en rester là, sans autres signes cliniques apparents si, en 2019, le même Quentin Tarantino n’avait réitéré avec « Once Upon a Time in Hollywood ». Cette fois, c’était le massacre de Cielo Drive, en 1969, qui était remis en question. Un vaillant cascadeur bottait le cul et stoppait à coup de lance-flammes les méchants membres de la famille Manson venus assassiner l’actrice Sharon Tate, enceinte, et ses amis. Le syndrome Tarantino aurait pu prêter à sourire et à applaudir encore si des survivants collatéraux de la véritable tuerie, entre autres le cinéaste Roman Polanski, marié à cette époque à Sharon Tate et père de l’enfant qu’elle portait, n’étaient encore en vie. Le plaisir de voir des méchants exterminés se heurtait à une réalité qui n’était, hélas pas, un retournement de situation cinématographique.
Toute similitude avec des personnages ayant existé…
Mais voilà que le syndrome Tarantino vient de contaminer, preuve de sa virulence, Ryan Murphy et Ian Brennan. Qui, demanderez-vous ? Les créateurs de la mini-série « Hollywood », visible sur Netflix. Comme son nom l’indique, « Hollywood » nous replonge dans l’âge d’or du cinéma américain, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Les premiers épisodes nous présentent des héros imaginaires et des personnages ayant vraiment existé, tels l’acteur Rock Hudson, l’agent artistique Henry Willson, le cinéaste George Cukor, les actrices Hattie McDaniel, Anna May Wong, Vivien Leigh et Tallulah Bankhead, l’ex-première dame Eleanor Roosevelt, etc.
On pourrait alors penser que tous les faits montrés sont réels. Ils le sont pour la plupart mais avec de sacrées différences. Il a vraiment existé dans la Cité des Anges un réseau de prostitution masculine dont les principaux clients faisaient partie du gratin hollywoodien. Un garage servait de couverture. Les faits ont été relatés par Scotty Bowers dans son livre « Full Service ». Parmi les autres détails réels, Rock Hudson était homosexuel et devait le cacher, son agent Henry Willson ne représentait pratiquement que de jeunes étalons dont il profitait avant de les caser dans des productions quelconques, George Cukor organisait des parties fines dans sa villa, etc.
Jusque là, se dit-on, bien que très branché cul – mais après tout, pourquoi pas ? – la série reste proche de la réalité. Jusqu’au moment où le syndrome Tarantino fond sur le scénario comme la vérole sur le bas-clergé breton. Et ne me demandez pas pourquoi breton, c’est ainsi qu’on dit. Donc, tout se met à déraper et à décrire un monde idyllique..
Des statuettes mensongères
Dans « Hollywood », Rock Hudson a une liaison avec un jeune scénariste noir et, à la première de leur film, tous deux arrivent main dans la main. L’actrice principale du film est elle-même noire et elle obtiendra un Oscar. Et le scénariste aussi, par la même occasion. Dans les années cinquante ! On croit rêver. Quiconque ne connaît pas l’histoire du cinéma et de l’Amérique et prend pour argent comptant tout ce qui est raconté dans « Hollywood » (et après tout, pourquoi pas puisque tellement de détails sont vrais) croira donc que l’Amérique est, dès les années cinquante, en pleine chasse aux sorcières maccarthystes, un pays formidable ou les gays peuvent s’afficher et où les Noirs ont les mêmes droits que les Blancs. Si Hattie McDaniel fut réellement (la série le raconte) la première actrice noire a obtenir la précieuse statuette en 1940 pour un second rôle dans « Autant en emporte le vent », il fallut ensuite attendre 1964 pour que Sidney Poitier reçoive enfin un Oscar pour Le lys des champs.
Quelles sont donc les conséquences du syndrome Tarantino ? Les médecins nous alertent. Si l’effet est banal et juste jouissif au premier degré (quel benêt pourrait croire vraiment que Hitler, Göring et Goebbels furent massacrés à la mitraillette dans un cinéma parisien ?), il peut devenir douteux par la suite (la famille Manson était plus ridicule que véritablement dangereuse et un has been a pu en venir à bout) et carrément rendre stupide en bout de course : imaginez qu’on vous certifie, mini-série à l’appui, qu’il n’y eut jamais à Hollywood, en tout cas pas depuis les années cinquante, de discrimination envers les Noirs et les homosexuels ? Malaise.
On aurait tort de prendre à la légère le syndrome Tarantino. En cas de légers troubles, n’hésitez pas à contacter votre médecin : si vous ressentez des maux de tête, si vous avez le nez qui coule, un mal de gorge, de la toux, de la fatigue, des douleurs musculaires, les yeux qui piquent ou un manque de goût. Oui, surtout un manque de goût. Si vous le ressentez, alors vous pourrez aimer « Hollywood ». Mais vous serez atteint par le syndrome.
Vous pouvez rentrer chez vous, il n’y a plus rien à voir.