Festival de Cannes 2019

De notre envoyé spécial quelques jours au festival de Cannes 2019
à ses frais KANIBALEKTER

La flamme de Cannes

Cannes 2019, on aurait pu se croire dans une chanson de Mouloudji :

Y a plus d’jeunesse, y a plus d’saison,
Y a plus d’printemps, y a plus d’automne, y a plus d’façons,
Tout fout l’camp.

Mouloudji

Rue d’Antibes ou au bord de mer, en ce début de la 72e édition du festival de Cannes 2019, non, il n’y avait vraiment plus de saisons, ni printemps ni automne mais un entre-deux parfois glacial, souvent pluvieux. 

Plus vieux l’était tout autant le festivalier qui en a pourtant vu défiler des stars et des bons films et qui, au fil du temps, a pris ses habitudes. Et bien, elles furent bousculées, ses habitudes, en cette année 2019, les séances de presse n’étant plus aux mêmes horaires que d’habitude. Ce qui le contrariait fortement, le festivalier en question, parce qu’il le savait : tout changement est, la plupart du temps, moins bien qu’avant. Le changement n’apporte souvent aucune amélioration, bien au contraire. Un peu réac, le vieux festivalier ? Allez savoir.

Cannes 2019, ses plages, ses vaguelettes

En fait, le problème, pensait-il tout haut, comme partout ailleurs, c’est la presse. Cette presse qui, pendant très longtemps, voyait les deux films de la montée des marches du soir la veille et le matin-même. Autant dire que les journalistes avaient le temps de lancer la rumeur, comme quoi le film en question était nul, passable… ou excellent. Mais cela les gênait, les équipes des films, à plus forte raison si l’on annonçait déjà qu’ils avaient démérité.

Cannes 2019, pas de merde annoncée

L’exemple du fameux titre de Libération, « Chronique d’une merde annoncée », paru dès le lendemain de la montée des marches de « Chronique d’une mort annoncée » de Francesco Rosi, a laissé des traces et n’a cessé de creuser les blessures. Ce qui fait qu’aujourd’hui, la montée des marches ayant lieu à 19h30 au grand palais Lumière et la séance de presse le même jour à la même heure salle Debussy, l’article ne sortira que le surlendemain. C’est de la cuisine interne mais cela en dit long sur la fabrication d’un festival et sur notre société : plutôt que d’exiger de meilleurs films, plutôt que de laisser la critique faire son boulot, aussi cruel soit-il, on préfère éviter la confrontation directe et repousser l’éventuelle offense. Le surlendemain, il y a de fortes chances que l’équipe ait déjà quitté Cannes. 

Mais revenons à notre vieux festivalier. Il avait beau écarquiller ses yeux, il croisait très peu de personnalités dans les rues, comme si elles se cachaient. Ne retrouvait plus l’ambiance qu’il avait connue par le passé. Oui, vraiment, tout foutait l’camp.
 

Mes vieilles cannes

Depuis le temps que j’y traîne ma cinéphilie, on peut les compter, mes souvenirs du festival de Cannes. Ils dépassent allègrement les doigts de mes mains et pieds réunis. Ils sont de toutes sortes, bons et moins bons, coups de cœur, émerveillements, participations à des événements marquants mais aussi heures de queue pour rien, parfois sous la pluie, services d’ordre pas toujours coopératifs mais quelquefois aussi très sympas, bref, de quoi égayer les longues soirées d’hiver de ceux qui auraient la patience de m’écouter. Ajoutons aussi ces interminables files d’attente qui, au final, valaient le coup.

Cannes 2019, au pied les marches !

Comme lorsqu’avait été projeté à la Quinzaine des Réalisateurs le documentaire Exile on Main Street et que Mick Jagger était monté sur scène pour le présenter dans un français parfait. Mais de 2019, rien. Peu ou pas de souvenirs marquants. Ce ne sont pas les quelques jours que j’y ai passés qui vont ranimer en moi une flamme qui, depuis pas loin de 30 ans, ne s’est jamais éteinte. Et bien, je peux bien vous l’avouer, elle vacille, cette flamme, aujourd’hui. Pourquoi ai-je été ému par Cannes dès la première fois où j’ai posé mes jeunes semelles sur le fameux tapis rouge ? Parce que c’était un rêve éveillé. Non seulement on pouvait assister à un nombre incroyable de séances en se débrouillant bien mais on croisait aussi dans la rue ou dans les grands hôtels ceux qui fabriquaient l’étoffe de nos rêves, comme le disent si pertinemment William Shakespeare et Humphrey Bogart réunis, le premier dans La Tempête et le second dans Le Faucon maltais.

Jogging, botox et coupettes

C’était l’époque où les réseaux sociaux n’existaient pas et les stars n’avaient pas peur de se montrer. Où l’on buvait des coups pour un oui et pour un non au coude à coude avec acteurs et cinéastes. Où Nancy Allen, la vedette des films de Brian De Palma, passait devant vous en faisant son jogging. Où De Palma lui-même se baladait les mains dans les poches sur la Croisette. Et lorsque vous tourniez la tête pour regarder où vous marchiez, votre regard tombait sur Pedro Almodovar, Maurice Pialat, Ken Loach, Jean-Claude Brialy, Gérard Jugnot ou Ben Johnson, le cowboy inoxydable de John Ford et Sam Peckinpah, figé stetson sur le crâne comme s’il était devenu une enseigne en carton devant le Carlton. Gina Lollobrigida somnolait dans une voiture du festival avant de monter les marches.

Cannes, du monde au balcon

On prenait au Majestic l’ascenseur avec Samuel L. Jackson. Adriana Karembeu créait une émeute en allant faire ses courses chez Dior ou Vuitton, tandis que Mike Tyson faisait fermer la même boutique pour faire les siennes. Le producteur Menahem Golan se faisait interviewer tout en courant — il forçait le journaliste qui lui tendait un micro à trottiner lui aussi d’un pas alerte. Puis le même Menahem, tout rougeaud, donnait rendez-vous à tous ceux qui savaient lire l’invitation distribuée un peu partout pour des conférences de presse champagne, dans lesquelles on entrait très facilement, histoire de photographier quelques vieilles gloires botoxées : Roger Moore, Joan Collins, Chuck Norris, Dolph Lundgren, Jon Voigt, etc. Et de boire moult coupettes.

Le bon vieux temps du…

C’était le bon temps et ce bon temps n’est plus, ma bonne dame. Et finalement, quand on aime le cinéma — et on l’aime un peu quand on fréquente Cannes —, tout pourrait se conclure par un titre de film. Du grand Blake Edwards avec le grand Jack Lemmon : That’s Life.

Pour le tout venant, l’obscur, le sans grade, celui qui malgré tout pouvait autrefois profiter du festival et de tous ses fastes, Cannes n’est plus. That’s life.

Fin du festival

Cannes 2019, le site officiel

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