Faut les voir, ces mecs, avancer dans la rue, les bras ballants, comme s’ils n’avaient rien de mieux à faire. En plus, la plupart sont crados, ils bavent, sont parfois décoiffés et, dans ce cas, ils n’ont même pas pris soin de peigner les morceaux de cervelle accrochés à leur tignasse. Et ces bruits qu’ils font. Ils râlent, éructent, grognent, grondent. Franchement, c’est pas une vie, les zombies.
Je voulais causer aujourd’hui de cette folie des grondeurs qui, depuis 90 ans, s’est déversée sur nos écrans. On aurait en effet tort de croire que c’est « La nuit des morts-vivants » qui fut le premier film à les célébrer. Bien avant cela, dès 1932, on avait eu droit à un « White Zombie » avec Bela Lugosi, grand interprète de Dracula, en maître des trépanés.
Signé Victor Halperin, le film se déroule à Haïti et Lugosi, fieffé malin, zombifie ses ouvriers pour travailler à l’œil dans ses plantations de canne à sucre. Inutile de préciser que voilà là la main d’œuvre idéale qui travaille gratuitement sans rechigner et ne cotise pas à la CGT. Un jeune couple débarque sur l’île, en vue de se marier. La fille attire la convoitise d’un riche planteur qui, aussi sec, demande à Lugosi de la zombifier histoire de se marrer un peu. La croyant morte, son mari quittera l’île et le planteur pourra profiter de la donzelle. On le sait, la réalité n’est jamais aussi simple, surtout quand un prédicateur décide de se mêler de l’histoire et de ramener, avec l’aide du mari, l’épouse à la vie. Tout est bien qui finit bien d’autant, qu’en ces débuts du parlant, Hollywood vient de découvrir un nouveau filon, plus juteux que tout : le zombie.
Du zombie chair à canon
Voilà donc le brave mort-vivant qui va illico presto se retrouver en peu de temps la vedette de « Revolt of the Zombies » (1936), « The Ghost Breakers » (1940), « King of the Zombies » (1941) et « I Walked with a Zombie » (1943, « Vaudou »). Dans le premier, où l’on retrouve Halperin aux commandes, les pauvres zombies doivent devenir chair à canon puisqu’un prêtre cambodgien a promis aux armées alliées, pendant la première guerre mondiale, de leur en fournir quelques-uns. On n’a même pas besoin de leur livrer des uniformes. Ils partent comme un seul homme aux combats, le chrysanthème au fusil.
« The Ghost Breakers » (« Le mystère du château maudit ») de George Marshall n’a rien à voir avec cela puisque c’est une comédie jouée par le comique fort à la mode en ces temps-là, Bob Hope, flanqué de la ravissante Paulette Goddard (Madame Charlie Chaplin à l’époque). L’histoire les amène à Cuba et, of course, ils côtoient des fantômes et un mort-vivant qui les effraient bien avant de se rendre compte que tout cela n’est que machination. Ouf, on a eu peur.
Du zombie méchant nazi
« King of the Zombies » de Jean Yarbrough nous replonge dans la guerre, la seconde cette fois. Et, rebelote, un méchant savant nazi, logé dans une petite île entre Cuba et Puerto-Rico, a décidé de réveiller les trépassés. À mon avis, plus pour aller se battre contre les méchants Américains que pour faire la vaisselle.
Ah oui, un détail au cas où vous seriez confrontés à des morts-vivants un peu collants. Dans « White Zombie » et dans « King of the Zombies », on nous donne à chaque fois la recette pour s’en débarrasser : il faut éliminer le méchant qui les a mis dans cet état. Bon, d’accord, vous me direz qu’après, à partir de « La nuit des morts-vivants », il n’y a plus vraiment de méchant. C’est souvent l’armée qui a fait une connerie en enterrant des produits toxiques qui, passant dans la terre, transforment les cimetières en métros aux heures de pointe. Dans ce cas, démerdez-vous, enfermez-vous dans une maison ou planquez-vous sur un toit, c’est vous qui voyez. Parce que, oui, excusez, j’ai oublié de vous prévenir : la morsure du zombie est aussi fatale que celle du vampire et, ensuite, vous faites partie de la grande famille.
Le premier chef-d’œuvre
Mais passons aux choses sérieuses avec « Vaudou », premier vrai grand film de zombies, dû au duo Jacques Tourneur (le réalisateur)-Val Lewton (le producteur). C’est beau, c’est poétique, c’est à voir. Et c’est véritablement, « White Zombie » mis à part parce que c’est le premier film à parler d’eux, la première œuvre authentiquement bonne sur le sujet.
Bon, en 1943, le spectateur commence-t-il à être familiarisé avec les zombies ? Rien n’est moins sûr vu qu’il n’a pu encore assister à l’avalanche de films qui succèdera à « La nuit des morts-vivants », vingt-cinq ans plus tard. Donc, en pleine guerre, il faut encore qu’au premier coup d’œil on puisse identifier le zombie. Qu’a-t-il de particulier ? Des yeux écarquillés.
Si « Vaudou » se déroule une fois de plus aux Antilles, une fois n’est pas coutume, « The Plague of the Zombies » (1966, « L’invasion des morts-vivants »), de l’Anglais John Gilling, prend place dans les Cornouailles. On l’aura compris, le zombie commence à devenir, comme le vampire, le loup-garou et Frankenstein, une des valeurs sûres du cinéma fantastique.
Mais le premier vrai grand chamboulement arrive en 1968 avec « La nuit des morts-vivants » de George Romero. Première surprise : les morts sont comme vous et moi, de braves gens dérangés dans leur sommeil éternel et qui traînent sur les routes en nuisettes. Hommes, femmes, enfants, vieillards, ils sont Madame et Monsieur Tout-le-Monde et en deviennent d’autant plus inquiétants car un zombie que l’on réveille est toujours affamé et la bidoche qu’il réclame est la vôtre. Dont acte.
Le zombie fait ses courses
« La nuit des morts-vivants » et les films qui suivront, toujours réalisés par Romero, se doublent d’un commentaire politique. Le racisme dans le premier, la société de consommation dans le second, baptisé sobrement en français « Zombie ». Il faut voir les morts-vivants se balader dans un supermarché, l’air hagard derrière leur charriot, pour saisir le regard ironique que porte le cinéaste sur ses semblables.
Un petit mot encore sur les titres originaux de la trilogie de Romero. Après « Night of the Living Dead », donc « La nuit des morts-vivants », viendront « Dawn of the Living Dead » (littéralement, « L’aube des morts-vivants », sorti en France sous le titre « Zombi »), puis « Day of the Living Dead » (là, les traducteurs ont respecté le titre avec « Le jour des morts-vivants »). Il est vrai que Romero n’a pas voulu s’arrêter là et a sorti, vingt ans après « Le jour », « Land of the Dead » (en français, « Le territoire des morts-vivants »), puis encore « Diary of the Dead » (« Chronique des morts-vivants ») et « Survival of the Dead » (« Le vestige des morts-vivants ») mais le cœur n’y était plus et c’est véritablement la première trilogie, avec « La nuit », « L’aube » et « Le jour », qui restera tout autant dans les mémoires que dans les annales.
La zombie a de gros nichons
Passons sur tous les succédanés italiens signés Lucio Fulci, Claudio Fragasso ou Bruno Mattei, sur les essais britanniques façon « Horror Hospital », sur les versions sexy de Jean Rollin, Jess Franco ou Joe D’Amato, même sur les plus ou moins comédies plus ou moins érotiques telles que « Zombie Strippers » ou « Big Tits Zombie » aux titres alléchants. Oui, passons sur tout cela pour nous attarder sur le génial « Armée des morts » de Znack Snyder.
L’armée du petit Zach
Le petit Zach connaît ses classiques sur le bout des doigts et son George Romero dans les grandes profondeurs, c’est un fait. Il a l’intelligence de s’en nourrir (finalement, comme un bon zombie) pour accoucher d’un film original, rythmé et impressionnant dans sa mise en scène. Déjà, avec le surgissement des zombies dans la vie quotidienne. D’ordinaire, et surtout chez Romero, les zombies sont ramollos. Ils marchent à deux à l’heure et on ne succombe à leur attaque que parce qu’ils sont nombreux et s’accrochent à vous telle une influenceuse à un produit de beauté et à la promesse d’une chirurgie esthétique bon marché. Chez Snyder, c’est une autre paire de manches et les morts-vivants courent comme des petits fous. Ils sont sur vous en moins de deux et le danger devient beaucoup plus palpitant.
Dernière mouture en date, la série « Walking Dead » et la bande dessinée dont elle est tirée, qui redonnent aux zombies l’image branchée qu’ils avaient perdue entre temps (et surtout avant « L’armée des morts »). Ce film, la bédé et la série savent rendre hommage au grand maître du genre tout en innovant, d’autant plus que les maquillages et les trucages ont fait d’énormes progrès.
Signalons encore quelques produits en marge. D’abord ceux du bien nommé Rob Zombie, de son vrai nom Robert Bartleh Cummings. Chanteur métalleux (son groupe s’appelle White Zombie), il est devenu réalisateur de quelques films barrés, comme « La maison des mille morts », « The Devil’s Rejects » ou « Halloween », mettant en scène davantage des psychopathes que de véritables zombies.
Le zombie aime les vinyles (dans la tronche)
Enfin, un dernier mot sur les comédies réussies mettant en scène les zombies, à commencer par « Shaun of the Dead » d’Edgar Wright et ses morts-vivants décapités à coups de vinyles (à condition de trier ces derniers, faut pas déconner et gâcher de la bonne marchandise). Parmi les innombrables dérives du genre, citons encore « Braindead » de Peter Jackson et son bain de sang à la centrifugeuse ou « Le retour des morts-vivants » de Dan O’Bannon.
Bref, pour qui s’intéresse aux zombies, il y a fort à faire et la liste des films qui traitent d’une façon ou d’une autre du sujet ne cesse de s’allonger. Comme, pour choisir une image un peu plus précise, l’un de vos boyaux dans la bouche d’un mort-vivant.
Et Sheri Moon Zombie alors? La femme de ROB du même nom?! 😉
Super article , ça détend !