Un homme et une femme à la télé
La semaine dernière, alors que je ne savais pas trop quoi regarder à la télé, je suis tombé sur un film que je ne connaissais pas. C’est un de mes jeux favoris, tâcher de trouver le titre en essayant de reconnaître les acteurs, le ou la réalisatrice.
Là, j’avoue que je calais, rien ne me venait à l’esprit. Un couple discutait. La femme souriait mais ne semblait pas à l’aise. Lui, au contraire, affichait un air conquérant, comme s’il se moquait d’elle.
Pour corser le tout, j’avais coupé le son. En fait, la télécommande était loin de ma main et j’avais la flemme d’aller la chercher. Et ma femme était dans la cuisine à faire la vaisselle. De quoi causaient-ils ? De leur relation amoureuse, forcément. « Un homme et une femme » ? Je ne reconnaissais pas la patte de Claude Lelouch et les images que je voyais étaient en couleurs, alors que le film de 1966 est en noir et blanc. Bon, il est vrai que le cinéaste avait tourné une suite en 1986, « Un homme et une femme : Vingt ans déjà », puis une re-suite en 2019, « Les plus belles années d’une vie » mais je ne pensais pas que c’était cela. Et puis, je ne reconnaissais ni Jean-Louis Trintignant ni Anouk Aimée.
La séquence à laquelle j’assistais, il fallait l’admettre, était plutôt statique. Aucun mouvement de caméra comme Lelouch les multiplie, pas même un plan de coupe. Champ, contrechamp et on recommençait. Tantôt l’un, tantôt l’autre, et ils parlaient, parlaient. Heureusement que je n’avais pas mis le son, leur discussion paraissait soporifique. J’essayais de lire sur leurs lèvres mais, curieusement, à aucun moment je ne déchiffrai le mot « amour ». Sans doute était-ce un film étranger, auquel cas on peut toujours s’amuser à essayer de lire sur les lèvres. Imaginons qu’ils parlent en russe, en ukrainien ou en lithuanien ? La belle affaire pour tenter de retrouver un mot, même bien articulé.
Mais où sont-ils ?
Où étaient-ils ? Pas chez eux, visiblement, car deux personnes assistaient à leur entretien. Ce devait donc être un café ou un restaurant. Les deux autres, un homme et une femme encore, à leurs tables respectives, semblaient n’avoir rien à faire et s’ennuyaient ferme. Peut-être attendaient-ils leurs promis/promise ? Quoi qu’il en soit, ils suivaient à peine la conversation devant eux et réfrénaient des bâillements.
Dernier truc étrange : il y avait en bas de chacune des tables des deux amoureux, si c’était vraiment des amoureux, comme un décompte avec des chiffres qui défilaient. Ah les cons ! C’était sûr ! Par erreur, ils étaient en train de projeter une copie de travail laissant voir le time code. Bravo !
Et d’ailleurs, tiens c’est vrai, coquetterie du metteur en scène, les deux principaux acteurs n’étaient pas à la même table. Chacun avait la sienne devant soi, les deux semblant distantes de quelques mètres.
Soyons francs. Je me disais que, puisque le film était déjà commencé, j’en étais arrivé au stade de l’engueulade. Bon, une fois les échanges douloureux passés, les paroles allaient s’apaiser, les regards se faire de plus en plus amoureux et tous deux allaient se jeter dans les bras l’un de l’autre. Ajoutons à cela que si le cinéaste n’était pas trop pudibond, allait suivre une petite partie de jambes en l’air , une de celles qui ne font jamais de mal surtout quand elles sont bien filmées. De ces jambes, très agréables à regarder, qui apparaissent si joliment sur l’affiche de « I comete ».
Mais là, rien. Rien de rien. Et le cinéaste ne semblait ne regretter rien. Aucune image torride, moins en tout cas que dans une pub sur la margarine. Bon, rien n’arrivait et je crois que, malgré moi, mes yeux se sont fermés sans arrière -pensée.
Ils ne sont pas dans leur assiette
Le lendemain, alors que je repensais à ma soirée télé de la veille, j’ai voulu absolument trouver un titre. Puisque j’avais écarté « Un homme et une femme » et ses suites, j’hésitais. Vivien Leigh et Marlon Brando dans « Un tramway nommé Désir » ? Mais j’imaginais mal Brando en costard cravate. Lui, c’était plutôt le t-shirt dégoulinant de sueur, ce qui le rendait plus viril encore. Or l’acteur, là, ne l’était pas vraiment, viril.
Alors, Stéphane Audran et Michel Bouquet dans « La femme infidèle » ? Mais chez Chabrol, quand les gens sont à table — et ils le sont quasiment dans chacun de ses films —, c’est moins pour causer que pour grailler. Ici, il faut bien en convenir, aucun des deux ne portait une fourchette à sa bouche. Et ça ne pouvait pas non plus être un Sautet parce que, chez lui, ils sont toujours une ribambelle, à table. Il y a toujours Vincent, François et Paul et des fois quelques autres aussi. Et puis ici, dans le film qui passait à la télé, force est de reconnaître qu’ils ne paraissaient pas dans leur assiette.
Et si c’était Uma Thurman et John Travolta dans « Pulp Fiction » ? Non, parce que la belle Uma porte dans le film une coupe à la Loulou parfaitement reconnaissable. Et c’est une perruque brune alors que l’actrice dans le film que je regardais était blonde. Et dépourvue de cette coupe de cheveux si sensuelle. Et si c’était un remake, la scène durait, durait et ne passait jamais à la mythique partie de danse endiablée sur « You Never Can Tell » de Chuck Berry.
À moins que ce ne soit Ingrid Bergman et Humphrey Bogart dans « Casablanca », forcément plus statique qu’un film de Tarantino ? Peut-être, mais ni Ingrid ni Humphrey, à supposer que ce soit eux, ne se tournait vers leur ami pianiste pour lui demander « Play it again, Sam ».
C’était peut-être bien Emmanuelle Riva et Jean-Louis Trintignant dans « Amour » ? Ce film où un couple de vieux est déchiré par l’Alzheimer de la femme. Je regardais l’actrice, à la télé. Souffrait-elle d’Alzheimer ? Parfois, elle feuilletait des papiers, comme si elle ne se souvenait pas de ce qu’elle voulait dire. Parfois aussi, son partenaire agitait son index, comme s’il lui disait que non, ce n’était pas ça, elle se trompait.
Je devais être fatigué et n’étais pas parvenu à reconnaître les acteurs. Pas plus les uns que les autres parmi tous ceux cités précédemment.
Le lendemain, je me réveillais tant bien que mal. Le doute subsistait. Qu’avais donc pu bien voir, la veille à la télé ? J’étais prêt à donner ma langue au chat. J’allais sur Internet et consultais « Programme TV de la veille ». Il y avait écrit : « Débat de l’entre-deux tours ».