J’ai toujours détesté au cinéma les Monsieur ou Madame Plus. Ils semblent sortir tout droit d’une pub de mon enfance : un type, baptisé donc Monsieur Plus, petite moustache et costume blanc étriqué, porteur d’un nœud pap’ blanc lui aussi, était ravi de donner de petits coups de coude à des ouvriers confiseurs qui, forcément, rajoutaient plus de sucre ici, plus de chocolat là, du cholestérol en veux-tu en voilà mais c’était tellement meilleur ainsi.
Coup de coude
Et bien, figurez-vous qu’il en va de même au cinéma. De petits coups de coude ici et là vous font monter d’un cran l’interprète. Quoi, semble-t-il demander à son réalisateur ou sa réalisatrice : tu veux que, vraiment, on comprenne combien j’ai mal ? Que je verse d’énormes larmes de crocodiles obèses pour que le spectateur, à son tour, se sente obligé de m’accompagner ? Alors, l’acteur ou l’actrice, pourtant d’ordinaire bon dans un jeu en demi-teinte, en rajoute. On appelle cela surjouer et c’est exactement ce qui se passe avec Sibyl, le film de Justine Triet présent dans la compétition officielle cannoise.
Virginie Efira est une bonne actrice, elle l’a prouvé plusieurs fois et a même attiré l’attention du grand Paul Verhoeven, c’est dire. Alors, que lui arrive-t-il, dans Sibyl ? Et puis, entre nous, ça sert à quoi, un film comme Sibyl ? Ça raconte quoi ?
Les buts visés sont tellement multiples que tout le monde s’y perd, réalisatrice comme spectateur, actrices comme acteurs. C’est d’autant plus rageant que Justine Triet avait, dès son premier film, La bataille de Solférino, gagné la partie, capable de nous intéresser, dans la mêlée d’une élection présidentielle filmée en temps réel, aux pérégrinations d’un sympathique bras cassé et de sa copine. Elle remportait la partie parce que tout semblait naturel. Justine la perd ici parce que son scénario est fabriqué et sent le formol. Tout se télescope, rien ne semble réel, pas plus les séances de psychanalyse que le tournage de film, pas plus les alcooliques anonymes que la fête avec les célébrités, celles du film tourné dans le film.
Sibyl in
Parce qu’il y a un tournage de film dans Sibyl. Et pas n’importe où : devant le Stromboli, magnifié par Rossellini. Et les passes d’armes devant et derrière la caméra font tellement penser, en suprêmement inférieures, à ce que filmait Godard à Capri dans Le mépris, qu’on en reste pantois. Cois. Parce qu’entre nous, le méli-mélo amoureux entre l’acteur du film dans le film (Gaspard Ulliel), son amoureuse dans le film qui l’a été dans la vraie vie mais ne l’est plus (Adèle Exarchopoulos), la réalisatrice qui est la maîtresse du premier et est au courant de la liaison de celui-ci avec la seconde (Sandra Hüller) et enfin Sibyl, c’est-à-dire Virginie Efira, venue en coach, au courant de la liaison des uns avec les autres et qui elle-même…
Bref, cela donne peut-être l’unique bonne scène du film ou les baffes de cinéma deviennent de vraies mornifles et ça s’arrête là. Parce que, entre nous, voir la réalisatrice péter un câble et se balancer dans la flotte, voir l’assistant insister tant pour que la scène interrompue continue d’être filmée qu’il la confie à Sibyl, laquelle n’est rien sur le film si ce n’est la coach d’Adèle Exarchopoulos, c’est tellement nul et il existe tellement d’autres bons exemples de films dans le film que mieux vaut revoir Le mépris de Godard, Les ensorcelés de Minnelli ou La nuit américaine de Truffaut. Ou Jean-Pierre Léaud dans le rôle d’un cinéaste, que ce soit dans Le dernier tango à Paris ou dans Le pornographe. Ce sera plus bénéfique.
Sibyl out
Merde, Justine, ne joue pas à Madame Plus, ne regarde pas ta splendide actrice en lui disant : comme t’y es belle, tu vas rafler la mise, le Golden Globe, le César, le Prix d’interprétation, le BAFA, le Goya, le tout ce que tu voudras. Parce que toutes ces indications de jeu lui donnent du cholestérol, à la pauvre Virginie. Plus de sucre, plus de chocolat, plus de rimmel qui coulent des yeux ne la rendront pas meilleure. Hélas et au contraire.