De notre envoyé spécial quelques jours au festival de Cannes 2019 à ses frais KANIBALEKTER
Avant de parler de Rocketman, revenons donc à cette 72e édition du festival de Cannes. Commencée mardi dernier sous le soleil, même s’il faisait un peu frais le soir, elle s’est poursuivie le mercredi sous une pluie intermittente, le jeudi au soleil, le vendredi et le samedi sous la pluie encore, intermittente aussi…
Et je suis reparti, parce que j’avais prévu de ne pas rester tout le festival, mais sans avoir le cœur gros comme je l’ai eu les années précédentes en quittant la Croisette. Et la météo n’était pas la seule en cause. Que dire de ce sentiment de frustration, voire d’humiliation ? Vous vous sentez mis à l’écart, rejeté, posé à côté d’une poubelle dans l’attente que quelqu’un vous ramasse et vous balance dedans.
Rocketman sur les marches
J’étais bien content d’avoir récupéré une invitation pour la montée des marches de Rocketman, le biopic sur Elton John. Non pas que je sois fan du chanteur, mais j’avais bien envie de le voir. J’ai d’ailleurs été étonné de reconnaître, au cours du film, la plupart des chansons. Mais là n’est pas la question. Donc, smokingué comme il se doit, j’arrive en bas des marches au moment même où Eva Longoria les grimpe. Mais nous, on est bloqué par le service d’ordre et on ne pourra accéder au tapis rouge que lorsque les dernières traces des talons d’Eva s’y seront désincrustées. Monter entre deux rangées de photographes qui s’époumonent, même si personne de connu n’est à vos côtés, est toujours marrant. Arrivé dans le palais, on m’indique bien sûr le chemin du balcon. Et arrivé au balcon — il y a toujours du monde au balcon, suivez mon regard —, on me pointe du doigt la 15e rangée, tout en haut, car les 15 premiers rangs sont réservés. À qui ? D’illustres inconnus mieux vus que vous.
Fallait pas les inviter
Bon, maintenant que vous êtes assis, vous pouvez suivre sur grand écran la suite de la montée des marches. Avec du beau monde, ceux que vous connaissez et ceux dont les noms ne vous disent rien, vedettes de téléréalité, chanteurs à la mode ou acteurs de séries dont vous n’avez que faire. Mais, quand même, Julianne Moore. Et aussi, parmi l’équipe du film, Richard Madden, le Robb Stark himself. Et bien sûr, sir Elton, grassouillet et perruqué à souhait. Et les gens applaudissent mais moi, je vous avoue, je fais la gueule. Parce que Elton, d’accord, je suis prêt à l’applaudir si je le vois en vrai, mais pas à battre des mains parce qu’il passe sur un écran.
Bon, tourné façon comédie musicale, avec des dérèglements à la Ken Russell, le film n’est pas si mal. Plutôt bien, même. Dans le rôle principal, Taron Egerton n’est pas spécialement ressemblant mais très crédible. En plus, il paraît que c’est lui qui chante dans le film. Moment attendu, que l’on retrouve tout autant dans Les Doors d’Oliver Stone que dans Bohemian Rhapsody de Bryan Singer : Elton a récupéré des textes de Bernie Taupin (Jamie Bell), appelé à devenir le parolier de quasiment toute sa carrière. Ses doigts courent sur le piano, une mélodie naît et les spectateurs reconnaissent… ben, une chanson connue, ne me demandez pas le titre, j’en sais rien, juste qu’elle est connue, comme plein d’autres [Globrocker :Your Song]. Et que c’est émouvant de voir comment naissent les tubes.
Sœur Elton
C’est vrai qu’un biopic sur un chanteur supervisé par ce chanteur, ça risque pas de faire des vagues. Quoi qu’il en soit, Rocketman est plaisant, à faire pleurer dans quelques chaumières, mièvre comme certaines chansons mais les costumes d’Elton, tous réels, sont tellement marrants que la pilule passe très bien.
Le film achevé, les lumières rallumées, les applaudissements crépitent. Ceux qui sont à l’orchestre ont tout le loisir de voir se lever l’équipe du film, de la photographier, de la féliciter en direct. Ceux du balcon, les pôvres, se contentent là encore d’une image projetée sur l’écran. Et, en se tordant le cou et se hissant sur la pointe de leurs ballerines tels de petit rats de l’opéra, ils ne verront que des gens debout en train d’applaudir. Parce que les stars, elles, ont des rangs réservés juste à l’aplomb du balcon. Donc, elles sont impossibles à voir.
Ah oui, des vidéos circulent sur une chanson interprétée à Cannes par sir Elton et Taron. Ce n’était pas dans la salle du grand amphithéâtre Lumière, comme l’avait espéré Thierry Frémaux, le délégué artistique du festival, qui paraît-il avait fait placer un piano derrière le rideau. Non, ce fut pour quelques happy few, sur la plage du Carlton où se tenait la fête du film, à laquelle nous ne fûmes pas invités. Voilà, c’est ça, mon Cannes. Et mon Sir ? Il bat le beurre.