Destinée (on croirait entendre Guy Marchand)
Et d’abord, c’est qui, Lido Manetti ? Un grand acteur italien des années vingt, parti chercher la gloire hollywoodienne et qui n’y trouva que la mort. Comme le cinéma est, à l’heure actuelle, à peu près aussi refroidi que ce pauvre Lido, pourquoi ne pas se pencher sur quelques trajectoires percutantes… et percutées ? Commençons donc par cet illustre inconnu (aujourd’hui), qui ne l’était pas du temps de nos arrière-grands-parents.
Acteur-vedette en Italie dans les années 1920, Lido Manetti alla tenter sa chance à Hollywood et réussit à devenir aussi populaire que ne l’avait été son concitoyen Rudolph Valentino, décédé tragiquement en 1926. Tout allait bien pour Lido quand, accident ou meurtre (c’est ce qu’affirme le cinéaste Sergio Leone), il eut un problème certain.
Lido Manetti dans les clous
La voiture avait surgi de nulle part, dévalant le boulevard à vive allure et disparaissant comme elle était venue, sans laisser de trace. Ou plutôt si, une : un cadavre au bord de la route. Celui d’un homme jeune, 29 ans à peine, sortant du studio Paramount où il travaillait. Il s’appelait Lido Manetti mais les Américains avaient préféré le rebaptiser Arnold Kent, ce qui mit en fureur le Duce lui-même et l’Italie entière, où il était une vedette sous son véritable nom. Alors, les producteurs américains avaient fait à Manetti, l’étalon italien, une jolie concession : il serait crédité Kent dans les génériques US et conserverait son nom de Manetti dans les copies distribuées au pays natal. Santa Madonna, c’était gagné.
Nous étions un samedi soir, celui du 29 septembre 1928, tout juste deux ans après la mort de Rudolph Valentino, décédé le 23 août 1926, et, décidément, les latin lovers n’avaient pas de chance à Hollywood. Kent/Manetti venait d’achever un film avec Norma Talmadge, « La femme disputée », sorti aussi sous le titre « Soirs d’orage », et s’apprêtait à en tourner un autre avec Mary Pickford à la United Artists (après sa mort, on confiera finalement son rôle à Leslie Howard, futur concurrent direct de Clark Gable dans « Autant en emporte le vent »). Mais l’orage lui avait dégringolé dessus d’autant plus que le bolide jamais retrouvé laissa dans certains esprits beaucoup plus de doutes que prévu.
Sergio raconte
La destinée dépend finalement de la géométrie et du croisement de deux droites. Celle de Lido Manetti, jalonnée de succès, n’aurait jamais dû croiser celle de la voiture qui le percuta sur Melrose Avenue. Et qui, raconte la légende, était conduite par un figurant. Le cinéaste Roberto Roberti, qui avait dirigé Manetti dans « Fra Daviolo » en 1925, racontait pourtant autre chose. Sa version de l’histoire est parvenue jusqu’à nous grâce à son fils, un certain Sergio Leone.
« Manetti, racontait Leone en 1984 à Diego Gabutti, était venu pour remplacer Valentino. Il était beau, grand, et tout à fait dans le style italien. Il avait devant lui un avenir certain. Peut-être quelques femmes se seraient-elles suicidées pour lui. Rien de tout cela n’est arrivé. On ne lui a pas permis de devenir une vedette. Un beau matin à Hollywood, devant les studios de la Paramount, une automobile lancée à toute vitesse l’écrasa sur la route. On n’a jamais su qui avait fait le boulot et ces pauvres femmes, au lieu de se suicider pour lui, ont malheureusement dû s’adapter et mourir de vieillesse ou s’immoler pour quelqu’un d’autre. Peut-être que c’était la mafia. Mais mon père a souvent dit qu’un policier sérieux, pour traquer le chauffeur fou, aurait dû regarder en face les stars des années suivantes. Parmi eux, il y en avait un qui connaissait la vérité mieux que le procureur de Los Angeles. Moi aussi, parfois, pendant que je regarde un vieux film à la télévision, je suis saisi par un étrange sentiment d’inconfort. Je fixe Clark Gable, Dick Powell, Paul Muni, Fredric March, James Stewart et un frisson de glace court dans mon dos. Le tueur pourrait être l’un d’entre eux. Tu vois ? Clark Gable, surtout, je n’ai jamais eu confiance en lui. Regarde-le bien et dis-moi si tu lui confierais ton portefeuille. Qui sait ce qu’il ne cachait pas, sous sa moustache et son fameux sourire. »
Il y va fort, le Sergio, accusant quasiment du meurtre de Lido Manetti le fringant Clark Gable. Certes, avec ses cheveux coiffés en arrière et sa moustache, Gable avait tout du latin lover. Manetti lui-même portait le cheveu en arrière et arborait souvent sous le nez une petite moustache. Et il avait les yeux clairs lui aussi. De là à le butter, il ne faut peut-être pas exagérer. Pour quelles raisons Clark aurait-il fait sonner le tocsin pour le Toscan ?
Dans la compétition hollywoodienne, que l’on pourrait symboliser par un escalier dont chaque marche suivante paraît aussi inaccessible que casse-gueule, on se doute bien que tout ne se jouait pas, à l’époque, entre deux acteurs seulement.
Lido Manetti vs Clark Gable
Si, en 1928, élu unanimement pour succéder à Valentino, Manetti jouit d’une grande popularité, Gable a été absent des écrans depuis 1926. Il est à l’époque figurant (tiens tiens, entend-on ricaner l’auteur de « Pour quelques dollars de plus ») et ne réapparaîtra dans un film qu’en 1930, toujours comme figurant. Il est arriviste, c’est un fait connu, prêt à coucher avec n’importe qui pour parvenir à ses fins. Les méchantes langues ont même dit, et Hollywood n’en manque pas, que le grand Clark, en 1939, alors qu’il a enfin acquis la gloire dont il rêvait tant, aurait fait virer du plateau d’« Autant en emporte le vent » le réalisateur George Cukor parce que dans le temps, lui et Clark auraient… On s’en fout, ce n’est pas nos oignons.
Quoi qu’il en soit, si Gable aujourd’hui, soixante ans après sa mort, reste toujours une légende, que subsiste-t-il du pauvre Lido Manetti, alias Arnold Kent ? Pas grand-chose, hélas pour lui.
« Destinée, chantait Guy Marchand – on y revient –, on était tous les deux destinés, à voir nos chemins se rencontrer… »
A vos claviers
Jouons aux détectives et tâchons de flairer une autre piste. Manetti avait trouvé sa place au sein de la Paramount, qui le prêta à United Artists le temps du tournage de « Soirs d’orage ». Ce film obtint un beau succès et United Artists se dit qu’il serait bon de récupérer dans son giron le bel Italien. La compagnie était prête à payer un max pour la rupture de contrat, d’autant que les essais de Manetti auprès de Mary Pickford étaient concluants et que tout cela promettait un nouveau beau succès dont le bénéfice emplirait pleinement les poches de la UA. Ce scénario qui se tramait dans les couloirs a-t-il gêné quelqu’un ? Quelqu’un qui aurait perdu une somme considérable ?
Comme dans plusieurs affaires de morts suspectes qui secouèrent le vieil Hollywood, il y avait là de quoi nourrir l’imagination de quantité de scénaristes. Une histoire de jalousie ? De gros sous ? De femme ? De dinosaure ? Non, pardon, ça c’est dans « Jurassic Park ».
Pour le fun, rappelons qu’un des titres de gloire de Lido est d’avoir été l’un des partenaires de Clara Bow dans « Hula », en 1927. Clara, sex symbol s’il en est, qui traça un chemin sûr à nombre de ses jolies collègues.
En tout cas, qu’attendent les auteurs de films ou de séries pour adapter à l’écran la vie de Lido Manetti et surtout sa fin tragique ? Imaginons un héros détective ou flic dans le Hollywood des années vingt et trente qui, au fil des épisodes, aurait à enquêter sur des morts douteuses ou sujettes à scandales, issues des pages du fameux « Hollywood Babylone » de Ken Anger. Celles d’Olive Thomas, Virginia Rappe, William Desmond Taylor, Thomas Harper Ince, Peg Entwistle, Thelma Todd ou de Jean Harlow. Toutes ces stars mortes d’overdose, violées, assassinées, battues, suicidées. De quoi mettre en haleine pas mal de spectateurs. Scénaristes, à vos machines.