Triple dose

Ça tombe comme à Gravelotte, pourrait-on dire, si cette comparaison n’avait pas sombré dans l’oubli. Pourtant, il convient de parler du triple décès qui nous percute de plein fouet. Avec, pour tiercé hélas gagnant, Queen Elizabeth, William Klein et Jean-Luc Godard.

Faut toujours rester dans l’actualité. Et comme l’ami Glob vient de nous montrer combien il appréciait les reprises des grands auteurs, avec la dernière fois un hommage à Brassens, et bien commençons sur une musique de Brassens, celle des « 4 z’arts ».

« … Adieu ! les faux tibias, les crânes de carton, chantait celui-ci, plus de marche funèbre au son des mirlitons, au grand bal des Quat’z’arts nous n’irons plus danser, les vrais enterrements viennent de commencer. »

Les pleureuses peuvent sangloter pour de bon !

Pour rester dans les chansons, plus jeune j’écoutais le « Double Dose » de Hot Tuna. Mais là, mes aïeux, c’est carrément la triple dose. La triple dose de morts qui ne chantent pas plus, non Georges, « ah c’qu’on s’emmerde ici » que « Saint Éloi bande encore ». Non, les pleureuses peuvent sangloter pour de bon !

Passons rapidement, que les royalistes nous excusent, sur la Queen Zabeth, God ait son âme, dont le trépas a fait pleurer tout autant dans les chaumières anglaises que dans les françaises. Car, entre nous, ils y ont été nos journaleux, tous médias confondus, à tendre le micro aux éplorés de sa Majesté.

God-Art

Et à moi, personne ne m’a tendu un micro pour me demander si le trépas de Jean-Luc Godard était une perte. Pourtant, j’aurais répondu que c’en était une immense, de perte ! Et ce n’est pas parce que la presse préfère le God Save the Queen au God-Art qu’on ne doit pas célébrer le génie de celui qui vient de disparaître.

Bon, je signale le numéro spécialement recommandable de « Libé » mais je regrette amèrement que si les chaînes de la TNT passent en boucle la série des Gendarmes et des films d’action américains fabriqués à la photocopieuse (et aux explosifs), aucun canal public ne nous éduque sur l’histoire du cinéma. Là où les films de Jean-Luc ont toute leur place. Citons « À bout de souffle », « Vivre sa vie », « Une femme est une femme », « Pierrot le fou », « Le mépris », « Bande à part » — c’est ainsi que Tarantino a baptisé sa boîte de prod —, « La Chinoise », « Tout va bien », « Sauve qui peut (la vie) », « Passion », « Prénom Carmen », « Hélas pour moi », jusqu’au « Livre d’image », sorti en 2018. On ne peut donner ici tous les titres des films importants que Godard a signés. Quelle que soit la difficulté d’approche que certains présentent, on ne peut que saluer l’artiste. Le génie.

Godard, je l’avais croisé quelque fois, au cours d’une conférence de presse à Cannes ou dans le hall de l’ancien CNP Grolée, à Lyon, où il s’était mis à répondre aux questions du public. À chaque fois, il semblait s’amuser du fait que ses fans le prennent pour un gourou.

C’est vrai que des voix s’élèvent, qu’en tout cas Gérard Darmon a reproché l’antisémitisme de Godard. Il cite un propos qu’aurait tenu le cinéaste, rapporté par un autre cinéaste. S’il est vrai, c’est une connerie qu’a dite Godard. mais comme nous tous, un génie n’en est pas exempt, même si cela est dommageable. Cela ne peut nous empêcher de célébrer ses films qui ne traduisent aucune ambiguïté négationniste.

Ex-fan des sixties

Que cette série de décès — Elizabeth le 8 septembre, JLG le 13 septembre — ne nous fasse pas oublier celui, survenu le 10 septembre, du photographe et cinéaste américain William Klein. Un autre immense monsieur, capable de photographier des gamins dans les rues de New York ou des top models sur des podiums.

Réalisateur de documentaires sur les Black Panthers ou Mohammed Ali, on lui doit aussi « Qui êtes-vous Polly Maggoo ? » (1966) ou « Mister Freedom » (1968), des films pop où l’on croisait Jean Rochefort et Philippe Noiret (dans le premier), Yves Montand, Serge Gainsbourg et Philippe Noiret (dans le second). Des films méritant largement le détour, témoins de cette époque de liberté et de contestation que furent les sixties. Et qui eux, ont été diffusés il y a déjà quelque temps sur Arte, sans doute la seule chaîne encore regardable du paf. Laquelle a également programmé « Le mépris » pour son hommage à JLG.