Priapisme et ménage à trois

Vous croyez quoi ? Que le cinéma a poireauté des décennies avant de traiter des sujets réservés aux adultes ? Qu’il a fallu attendre les années soixante-dix et leurs petits nichons qui ballotaient à tout-va ? Idée reçue, mes petits pères — et mes p’tites mères. Idée complètement reçue ! La preuve, c’est que c’est bien avant cette époque que le cinéma, y compris made in Uncle Sam, a causé de priapisme et de ménage à trois.

Marx Brothers

S’il y en a bien qui n’ont jamais caché l’émoi que leur procurait l’autre sexe, c’est bien les Marx Brothers : Groucho, Harpo, Chico et, accessoirement, Zeppo, le plus jeune de tous et le moins audacieux. Les jeunes premiers nunuches qui peuplent leurs films devront s’y faire : les frères terribles les aident plus par hasard que par perspicacité. Ce qui les intéresse avant tout est moins le bonheur de leurs amis que de se frotter aux dames. Vous en doutez ? Dans Go West (1940 , Chercheurs d’or, d’Edward Buzzell), les Marx doivent récupérer un plan de mine que leur ont volé des cow-boys malhonnêtes. Tandis que Harpo s’affaire vers le coffre, Groucho et Chico se laissent très facilement prendre au piège par des entraîneuses qui n’ont pas à insister beaucoup pour les voir se vautrer sur un canapé contre leur flanc, une coupe de champagne à la main.

Des quatre frères, ce sont bien sûr Groucho et Harpo les plus entreprenants : le premier fait du gringue à tout ce qui porte jupon, le second, muet de son état pour les besoins du cinéma, poursuit les blondes les yeux écarquillés, une corne à la main, ce qui rend auditivement repérable chacune de ses scènes dans les films des Marx : on entend des glapissements couverts d’un klaxon et les deux, la blonde et Harpo, passent comme un train devant un passage à niveau.

Commençons par Groucho : c’est connu, le moustachu ne peut voir une femme sans lui faire la cour, se frottant à elle et levant les sourcils plusieurs fois. Si c’est Margaret Dumont (sa partenaire dans plusieurs films, plus proche d’une matrone que d’une pin-up), ses compliments sont des vannes, les millions de la dame l’intéressant plus que ses dessous. « Voulez-vous m’épouser ? » lui demande-t-il souvent, avant d’ajouter : « Si vous répondez oui, vous ne me reverrez plus. »

Dans les sept films où elle a essuyé sans broncher les salves de Groucho, Margaret Dumont incarne une grande bourgeoise coincée, riche à millions, outrée mais toujours séduite par le binoclard. Lequel lui avoue son amour dès qu’il connaît l’état du compte en banque de la dame. Sans broncher, il est capable de l’avoir dans les bras tout en comptant fleurette à une partenaire beaucoup plus déhanchée. Le meilleur exemple est donné, dans A Day at the Races (1937, Un jour aux courses, Sam Wood), par son personnage du Dr Hugo Z. Hackenbush (un vétérinaire nommé chef de clinique) à qui s’en remet la riche Margaret Dumont les yeux fermés. Alors que le couple valse tendrement enlacé, Groucho remarque une blonde en robe noire fourreau (Esther Muir) et commence à lui faire de l’œil. D’une voix de fausset, il crie par deux fois « On change de partenaire » pour aller enlacer la blonde et se lancer avec elle dans une rumba puis un tango effrénés. Finalement, alors que Margaret Dumont l’a récupéré dans ses bras, il donne rendez-vous à la blonde par-dessus l’épaule de sa danseuse.

Mais Margaret Dumont ne fut pas la seule partenaire des Marx. D’autres l’ont été, beaucoup plus sexy, à commencer par Thelma Todd. Elle est dans Monkey Business (1931, Monnaie de singe) et Horse Feathers (1932, Plumes de cheval), tous deux réalisés par Norman Z. McLeod. « Cette dernière, il est vrai, remarque justement Yves Alion (Les Marx Brothers, Edilig), est sexuellement plus crédible et l’on comprend pourquoi Plumes de cheval se termine par un plan des trois frères entreprenant de l’escalader (par la face nord). L’érotisme de la scène est brûlant, cela va sans dire. »

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L’escalade par la « face Nord » selon Yves Alion : les Marx et Thelma Todd dans Horse Feathers

Thelma Todd est, il est vrai, une jolie blonde, moins vulgaire et aguicheuse que sa contemporaine Jean Harlow, mais tout aussi craquante. Elle incarne, dans Horse Feathers, Miss Bailey, « la veuve du campus ». Voilà bien un qualificatif qui a de quoi attirer les quatre frères. Quand il est nommé recteur de l’université de Huxley, Quincy Adams Wagstaff (Groucho) s’aperçoit que son fils (Zeppo), étudiant sur le campus, a succombé à Miss Bailey, pourtant sous la coupe d’un autre homme (David Landau). Ce qui n’empêche nullement Groucho de lui faire la cour chaque fois qu’il la voit et ses deux autres frères, Chico et Harpo, font de même. S’il réserve à la jolie femme quelques torpilles dignes de celles qu’il balance habituellement à Margaret Dumont, s’il la laisse ramer lors d’une promenade en barque (tandis que lui-même fait le joli cœur sous une ombrelle, balade que la belle Thelma, d’ailleurs, terminera à l’eau), Groucho est ici nettement plus sensible aux charmes de l’actrice. Dès qu’il se rend chez elle, il ôte ses chaussures et se couche contre elle. Il est à chaque fois interrompu, ressort (les chaussures aux pieds), revient, ôte ses godasses et s’allonge à nouveau sur Miss Bailey.

Groucho Marx et Thelma Todd
Au cours de cette scène de Horse Feathers, Groucho ôtera au moins trois fois ses chaussures pour s’allonger contre Thelma Todd avant d’être dérangé

Everyone Says I Love You

Chacun des frères ira de son petit couplet « Je vous aime » (« Everyone Says I Love You »), sur une musique de Harry Ruby et des lyrics de Bert Kalmar. Zeppo le premier, avec des paroles mièvres. En gros, c’est : tout le monde sait que je t’aime, le curé et ses ouailles, le capitaine et son équipage, etc.

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Chico, officiant à son piano, va dire à peu près la même chose avec d’autres mots, d’autres exemples, puisant les témoins de son amour dans le règne animal et faisant un détour curieux par Christophe Colomb.
Groucho, enfin, profite de la promenade en barque pour chanter son amour à la guitare. Il est, de tous, le moins romantique, avec des paroles encore plus loufoques que celles utilisées par Chico. Et quand il ne parle pas des lapins qui se multiplient, il fait remarquer que l’amour est une source de problèmes. C’est tout lui, ça !
Harpo, lui, jouera de la harpe sous la fenêtre de la belle, ce qui lui vaudra l’envoi d’un baiser. Et tout se conclura par un triple mariage.
Parmi les autres partenaires bien roulées des Marx, on pourrait également citer Raquel Torres dans Duck Soup (1933, La soupe au canard, Leo McCarey). Est-ce la couleur de cheveux qui fait la différence ? La jolie brune n’excite pas autant les frères, malgré ses dos nus et ses robes serrées qui mettent sa poitrine en valeur.

Thelma Todd

Mais revenons à Thelma Todd. Elle n’est, dans Horse Feathers, pas la seule à affronter les assauts des turbulents frères. Lorsque Chico et Harpo viennent suivre un cours de biologie, ils courent s’asseoir aux deux places vides pour aussitôt enlacer leurs voisines respectives.

Et il en va toujours ainsi avec les Brothers : ils n’arrêtent pas de sauter sur tout ce qui porte jupon (à plus forte raison si la personne est jeune et jolie). Dans Go West, Groucho ne peut s’empêcher de baratiner la jolie Lulubelle (June McCloy), pourtant maîtresse du méchant à sa poursuite (Robert Barrat), chaque fois qu’il la croise, fût-ce en courant. Et dans A Day at the Races, alors qu’il fuit le shérif et divers énergumènes qui lui courent après, Groucho traverse à quatre pattes une voiture remplie de femmes et leur lance à la sauvette : « Vous êtes libres ce soir ? » L’homme, ce n’est un secret pour personne, ne se prend pas au sérieux. Pas plus dans le rôle de chef d’État (Duck Soup) ou de chef de clinique (A Day at the Races) que dans celui de séducteur. C’est un peu comme s’il roulait des yeux devant les jolies femmes en sachant pertinemment qu’il n’a aucune chance… ou si peu. Car, à part Margaret Dumont qui, de film en film, garde les yeux jalousement sur lui, les autres dames sont souvent intéressées, travaillant pour le compte des « méchants ». Alors, le Casanova d’opérette roule encore plus des yeux et des sourcils et pratique la drague en quatrième vitesse.

Quant à Harpo… Il ne s’embarrasse d’aucune convention sociale. Une fille lui plaît ? Comme un enfant devant un gâteau appétissant ou un beau jouet, il écarquille les yeux et tend les mains pour l’avoir ou plutôt la toucher. Évidemment, dans ce cas précis, le gâteau (ou le joujou) fuit, apeuré, en poussant de petits cris aigus. Et notre gamin, aussi lubrique que bouclé et muet, court après en faisant couiner la corne qui lui sert de corde vocale. Gâteau, jouet… La femme ne serait-elle qu’un objet pour Harpo Marx ? Pour le personnage qu’il incarne de film en film, assurément.

Au début de Go West, il doit prendre le train pour l’Ouest, accompagné à la gare par son frère Chico. Ce dernier lui demande l’argent du trajet, Harpo sort de sa poche un billet de 10 dollars et fait signe que c’est tout ce qu’il a. Où est passé le reste, s’inquiète Chico. Harpo met deux doigts dans sa bouche et accompagne d’un sifflement suggestif la courbe déhanchée qu’il dessine de l’autre main.

Dans Duck Soup, Harpo et Chico sont dans le bureau de l’ambassadeur de Sylvania (Louis Calhern). Ce dernier appuie sur un bouton et une jolie secrétaire blonde surgit (Verna Hillie). Il faut voir alors le regard de Harpo, qui ne la quitte pas des yeux, veut la suivre, puis n’aura de cesse de vouloir appuyer sur le bouton pour la faire revenir. Plus tard, alors que la guerre est déclenchée entre la Sylvania et la Freedonia, Harpo parcourt les villages à cheval pour sonner la mobilisation. L’Histoire ne dit pas si Paul Revere, le héros franco-américain qui fit de même lors de la guerre d’Indépendance, s’est arrêté en chemin pour mater les jolies filles. Harpo, lui, en tout cas le fait. À une fenêtre, il remarque une blonde (encore), en sous-vêtements, prête à prendre son bain. Il monte aussitôt la voir et ce n’est pas pour l’enrôler. Un peu plus tard, il ira partager le lit d’une autre… avec son cheval.

C’est encore lui qui, dans Horse Feathers, ne cesse de punaiser partout où il passe l’image d’une dame peu vêtue. Dans A Day at the Races, alors qu’il joue à l’assistant médical, il se jette sur une infirmière et, en l’enlaçant, lui ôte ses vêtements.

Il déshabille aussi les chanteuses sur la scène de l’opéra de New York dans A Night at the Opera (1935, Une nuit à l’opéra, Sam Wood), arrachant les jupes. Dans ce même film, dans la célébrissime séquence où quinze personnes envahissent la minuscule cabine de Groucho, Harpo s’étale généreusement sur les jeunes femmes venues faire le ménage. « Il ne se gêne pas » remarque Groucho. « Il dort », l’excuse Chico. « C’est comme cela qu’il s’y prend le mieux » conclut Groucho tandis que les femmes ont toutes les peines du monde pour se débarrasser non seulement de Harpo qui roupille sur leur dos mais de ses bras qui les entourent.

Le Marx muet s’est, dès ses débuts, rendu champion du sprint derrière (surtout) les blondes. Dans Animal Crackers (1930, L’explorateur en folie, Victor Heerman), n’en terrorise-t-il pas une qu’il course chaque fois qu’il la croise ? Groucho, lui, préfère parler. Son vœu le plus cher ? Il l’explique au capitaine du bateau sur lequel les trois frères ont embarqué comme passagers clandestins dans Monkey Business : « Vous ressemblez tout à fait aux passagers clandestins, remarque l’officier. L’un d’eux se balade partout avec une moustache brune ». À quoi Groucho répond : « Tout comme moi. Mais si j’avais le choix, je préférerais mille fois me balader partout avec une petite blonde ». Logique.

Et cette réplique, alors que Groucho est détective privé, dans Love Happy (1946, La pêche au trésor, David Miller) ! Une jolie blonde incarnée par Marilyn Monroe (à ses débuts) débarque affolée dans le bureau, déclarant : « Un homme me suit ». Haussement de sourcils du détective : « Un seul ? »

Finalement, le frère qui semble le moins attiré par les femmes dans les films des Marx est Chico (exception faite, bien sûr, de Zeppo qui, dans les quelques films où il apparaît, joue le jeune premier propre sur lui, qui ne risque pas de faire quoi que ce soit de répréhensible devant une caméra). Chico, donc, qui, dans le civil, fut apparemment le plus coureur des Marx Brothers. Yves Alion le prouve : « Groucho raconte que lorsque les frères ont monté « I’ll Say She Is », trente danseuses avaient été engagées. Le temps de partir en tournée, Chico en avait séduit au moins quinze ».

Pour les Marx, séduire est un sport dont ils sont les champions toute catégorie. Dans leurs films, l’amour est réservé aux couples gentils, un peu fades, qu’ils aident comme ils le peuvent. C’est un amour roucoulant : le jeune premier se croit toujours obligé de pousser la chansonnette pour sa belle qui semble aimer cela. Nous, les spectateurs, supportons patiemment que cela passe et guettons avidement l’arrivée de l’un ou l’autre des Marx.

Ah ! Les couples dans ces films…

On les trouve aujourd’hui difficiles à supporter mais il en était peut-être déjà de même à l’époque. Ils sont mièvres, sans humour, les scènes où ils apparaissent ralentissent l’action mais ils donnent, malgré tout, à nos trois irréductibles de bonnes occasions de se déchaîner.

Et puis, quoiqu’ils fassent, les Marx choquent les bonnes âmes. Toujours dans Horse Feathers, Chico et Harpo sont chargés de kidnapper deux bons joueurs de foot, lesquels ont facilement raison d’eux. Ils ôtent les fringues des deux frères qui se retrouvent en sous-vêtements. Pour s’échapper, Baravelli et Pinky (c’est leurs noms dans le film) scient le plancher sur lequel ils se trouvent… et dégringolent à l’étage au-dessous, en pleine réunion de rombières et, bien sûr, toujours en sous-vêtements. Inutile d’en rajouter sur les cris qui ponctuent cette intrusion et sur la fuite des robes.

LA SUITE DEMAIN…

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