Une sale blague subjonctive
Connaissez-vous « Les sales blagues » de Vuillemin ? Qui ne peuvent finalement contenter que ceux qui ont le bon goût d’apprécier le mauvais. Vous me suivez ? Bon, attendez, je vous donne un exemple. Sur l’une des planches, nous sommes dans un cinéma, pendant une séance. Tandis qu’un spectateur essaie de suivre ce qui se passe sur l’écran, il est gêné par un couple. La dame est à genoux et s’occupe activement entre les jambes de son voisin. Soudain, les lumières se rallument. L’homme cache de son chapeau l’objet du délit tandis que la femme, toujours à genoux, fait mine de quérir sous les sièges un objet qu’elle aurait perdu. Le spectateur se penche alors vers elle et la renseigne : « Si c’est sa bite que vous cherchez, elle est sous le chapeau. »
Si je vous parle de cela, c’est qu’une mésaventure semblable est arrivé à l’une de mes connaissances, aujourd’hui un vieux monsieur qui passa sa carrière à enseigner le français, le latin et les belles lettres à des générations de cancres dont je faisais partie. Le monsieur en question n’était pas encore retraité et, cinéphile averti, regardait le film dont tout le monde parlait alors, « Le grand bleu » de Luc Besson. Et, pendant que Jean-Marc Barr n’en finissait plus de retenir sa respiration, lui pensait à une chanson que, du temps lointain de ses études, lui avaient apprise des amis carabins.
Dans un amphithéâtre (trois fois), phithéâtre-phithéâtre-phithéâtre, y’avait un macchabbée (trois fois), macchabbée-macchabbée-macchabbée,
ce macchabbée disait (trois fois), il disait-il disait-il disait, ah, c’qu’on s’emmerde ici (trois fois), merdici-merdici-merdici.
Le long et grand bleu
Car c’était long. Et il ne se passait rien. Pourquoi tout le monde applaudissait-il un film aussi inepte ? Comment les jeunes d’aujourd’hui pouvaient-ils se retrouver dans ce grand vide ? D’autant plus que nous étions un an après la sortie officielle du film (que le prof avait ratée, faute de temps) et Luc Besson avait gratifié ses spectateurs d’une version encore plus longue de 27 minutes. Si les deux héros du Grand Bleu parvenaient à tenir près de cinq minutes sous l’eau, notre ami enseignant se doutait bien que lui, au train où allaient les choses, ne tiendrait certainement pas les 163 minutes de la version longue. Enfin, version même interminable plutôt que longue. En noir et blanc ou en couleurs, seuls peut-être les dauphins méritaient un prix d’interprétation. Et tant pis pour Taormina, bien jolie cité sicilienne, mais son regard se détournait à présent de l’écran.
Oui, notre latiniste s’ennuyait tellement, à l’opposé d’une salle subjuguée — O tempora, o mores, soupirait-il — que son attention se porta sur le couple qui était à trois sièges de lui. Sans doute incitée par toutes ces histoires d’apnée, une jeune fille avait extrait du pantalon de son ami un objet contondant semblable à un tuba dont, d’un doigté remarquable, elle activait la circulation avant sans doute de copier l’acteur du film et de retenir sa respiration.
Sucer, c’est tromper ?
Là encore, comme dans l’histoire dessinée par Vuillemin, les lumières se rallumèrent inopinément dans la salle. Le professeur avait la tête tournée vers le couple et, surpris dans ce qui pouvait ressembler à du voyeurisme, il se mit à sermonner les auteurs du flagrant délit. Puis, regardant la jeune femme droit dans les yeux, comme si elle était plus à même de raisonner, sachant combien dans ces cas-là le cerveau de l’homme va se nicher dans des recoins insoupçonnables : « Mais enfin, mademoiselle, cela ne se fait pas. »
Son interlocutrice le regarda, étonnée, et le professeur l’entendit rétorquer : « Mais, monsieur, encore eût-il fallu que je le susse. »
Diantre, remarqua in petto l’enseignant, voilà donc quelqu’un qui utilise l’imparfait du subjonctif. Comme cela est admirable et tant pis si la chose advient dans de telles conditions. Le cœur battant, prêt à tout pardonner, il entendit alors l’homme répéter : « Oui, monsieur, encore eût-il fallu qu’elle me suce. » Et l’espoir du professeur s’effondra comme les murs de Jéricho aux sons des trompettes de Josué.
Le Grand Bleu, un film de Luc Besson de 1988
le parallèle entre Villemin et le Grand Bleu peut certes paraître incongru mais pour moi il a du sens. L’idée du film est bonne mais effectivement son traitement est interminable! C’eut beaucoup plus efficace si l’immersion n’avait duré que le temps d’un « atchoum » comme dirait le grand… Philippe