Un western féministe d’Henry Hathaway
Le western est un univers en soi, bourré de chefs-d’œuvre, de ratages et d’idées fausses. Dont la principale, largement répandue, est que les cowboys américains ont toujours été proprets alors que leurs confrères made in Italy, les héros de ce que l’on a appelé le western-spaghetti, étaient cradoques comme des peignes.
Faux, chers amis, entièrement faux et la meilleure des preuves est de visionner « Law and Order » (1932) d’Edward L. Cahn, « La chevauchée fantastique » (1939) de John Ford, « L’étrange incident » (1943) de William Wellman, « La ville abandonnée » (1948) de William Wellman ou « Comanche Station » (1960) de Budd Boetticher pour se rendre compte que joues mal rasées et vêtements poussiéreux étaient déjà présents dans plusieurs grands westerns américains.
Rawhide d’Henry Hathaway
L’originalité de « Rawhide » (« L’attaque de la malle-poste », 1951), tourné en noir et blanc pour la Twentieth Century Fox par Henry Hathaway, est que le film s’apparente tout autant à un western qu’à un film noir. Dans un petit relais de diligence paumé au milieu de nulle part, Tyrone Power, le fils du patron de la compagnie, apprend son boulot auprès de Sam (Edgar Buchanan), un vieux briscard à qui on ne la fait pas et surtout pas ce jeune blanc-bec. Grand acteur de la Fox injustement oublié, Tyrone joue au joli cœur, se rasant au cours de la première scène dans laquelle il apparaît, imperturbable aux commentaires fielleux du vieux Sam à son encontre.
Les femmes et les enfants… après
Passe une première malle-poste, dans laquelle se trouve une jeune femme (Susan Hayward) veillant sur une gamine de deux ans. En apprenant qu’un hors-la-loi s’est échappé de prison avec trois autres détenus, le conducteur refuse de charger à bord la pauvre Susan et l’abandonne sans arme mais avec bagages dans le relais, la petite Callie dans ses bras. Vous comprenez, lui explique le brave employé de la compagnie, on ne peut prendre le risque d’avoir à bord une femme et son enfant alors que rôdent de dangereux outlaws.
Et voilà donc Susan, furibarde, et bébé Callie reléguées dans ce refuge impossible. Surgissent alors, au moment où on ne les attendait pas (tu parles, un peu que le spectateur les attendait), les malfrats : Hugh Marlowe, Dean Jagger, George Tobias et l’incroyable Jack Elam. Celui-là, les amateurs de westerns et de films noirs l’ont vite repéré, avec ses allures de psychopathe et son œil qui dit merde à l’autre. Et, psychopathe, le génial Jack Elam l’est ici complètement.
Dès qu’il s’approche de la mignonne Susan Hayward, ce triste individu n’est pas du genre à la complimenter. T’as de beaux yeux tu sais, le baratin à la Gabin, c’est pas trop son style. Son genre, à Elam, c’est plutôt de coincer la fille contre un mur, d’essayer de lui arracher des baisers et d’avoir les mains plus baladeuses qu’un car de touristes chinois en goguette à Paris.
Quatre méchants garçons dans le vent
Bon, pour la faire courte, le vieux Sam est déglingué et Tyrone et Susan, plus le bébé, se retrouvent otages des quatre méchants garçons dans le vent. Un huis-clos à faire pâlir les meilleurs thrillers. Et c’est là où le personnage joué par Tyrone Power devient intéressant. Et le film quasiment féministe. Car Tyrone est présenté, du départ, comme un maladroit. Lorsque Susan Hayward est éjectée de la diligence, Power ramasse tous ses bagages comme il peut — ils sont nombreux — et se retrouve coincé dans la porte, pas assez large pour laisser passer l’ensemble.
Ensuite, alors que la diligence du soir fait une halte rapide et que les gangsters ont décidé de se faire passer pour des occupants du relais — en fait, ils guettent la malle-poste du lendemain, chargée d’or —, Tyrone décide de faire passer aux passagers un mot qu’il a pris soin d’écrire. Et qu’il perd, sans s’en rendre compte, dehors.
Un héros empoté
Il arrivera néanmoins à récupérer un grand couteau et à le cacher, ce qui permettra aux deux prisonniers de commencer à creuser un passage vers l’extérieur depuis la pièce où ils sont cantonnés. Tyrone va accumuler les maladresses. D’abord, d’un faux mouvement, alors qu’un trou est déjà creusé dans la paroi, il va expédier le couteau à l’extérieur. Puis va casser la lampe qui l’éclaire et faire du bruit. Puis se blesser à la main. Le mec est redoutable.
De son côté, Susan a réussi à planquer un pistolet près de l’abreuvoir. Elle va se débrouiller pour sortir et remettre le couteau à portée de main. Et c’est elle qui, finalement, mettra un point final à l’histoire. Bravo Suzy.
Le bien éduqué, le froussard, l’illettré et l’obsédé sexuel
La tension de ce western féministe est réellement palpable et les événements s’enchaînent qui mettent toujours les deux héros en porte-à-faux. Les quatre bandits sont présentés avec des personnalités très différentes et c’est bien entendu, cela a déjà été signalé, Jack Elam qui se taille la part du lion, n’hésitant pas, par exemple, à tirer en direction de l’enfant. Ce qui ne signifie aucunement que ses acolytes soient sous-traités. Bien au contraire. On aura le choix entre le bien éduqué, le froussard, l’illettré et l’obsédé sexuel. Un bel échantillon.
Grand western, grand film noir, réalisé par Henry Hathaway, un des maîtres du genre, pourquoi bouder cet immense plaisir qui naît à la vision de cette « Attaque de la malle-poste » ? Que tout finisse bien n’est pas une surprise, à cette époque le Bien triomphait toujours du Mal. Mais la façon d’y arriver nous étonnera plus d’une fois.
Très bon ce western…