Comme l’héroïne du « Dr Jivago », Lana Clarkson méritait bien une (petite) mélodie en son honneur.
Dans le long cortège de morts célèbres de ces dernières semaines — et nos regrets éternels vont à toutes ces personnes que l’on a tant appréciées sur grand écran : Claude Brasseur, Robert Hossein, Tanya Roberts, Nathalie Delon, Jean-Pierre Bacri… —, se trouvait le producteur de disques Phil Spector, disparu ce 16 janvier.
Sa carrière a beau avoir été importante (Ike et Tina Turner, les Beatles, les Ramones, Leonard Cohen), j’avoue que l’annonce m’a laissé indifférent et qu’au contraire, plutôt que me remémorer les albums qu’il avait produits, j’ai préféré avoir une pensée émue pour Lana Clarkson.
Mona Lana Clarkson
Qui que c’est-y, allez-vous sans doute questionner. Et, plus grave, quel rapport ? Le rapport est grand : c’est cette pauvre Lana Clarkson que Phil Spector, le 3 février 2003 à trois ou quatre heures du matin dans son château de Dupuy’s Pyrenees Castle, exactement à Alhambra, dans le comté de Los Angeles, a envoyée rejoindre John Lennon dans son strawberry field forever. Oui, for ever, vraiment à tout jamais. D’une balle tirée dans la tête.
Ce qui m’a donné envie d’écrire ce petit hommage, c’est que France Inter, où j’ai entendu la nouvelle, n’a même pas pris la peine de citer le nom de Lana Clarkson. Non, il suffisait juste de dire que Spector était mort en prison, où il se trouvait suite à l’assassinat d’une actrice. Point.
Ne rêvons pas : Lana Clarkson n’était pas une immense comédienne et n’a quasiment laissé aucun souvenir dans les mémoires cinéphiles. Est-ce une raison pour l’oublier quand son meurtrier canne ? Certainement pas.
Du Phil Spector à retordre
Lana débute au cinéma aux côtés de Sean Penn, dans une comédie pour ados nommée en français « Ça chauffe au lycée Ridgemont ». Tout un programme (scolaire). Dans ce « Fast Times at Ridgemont High », Sean Penn arbore une tignasse blonde et un sourire niais qui, quand il y repense aujourd’hui, doivent vider son armoire à pharmacie de tous les Xanax qu’elle contient.
Mieux vaut se reporter, dans ce même film, sur Phoebe Cates qui joue avec le haut de son maillot à donner des frissons au moindre teenager.
On trouve encore dans de petits rôles Jennifer Jason Leigh, Nicolas Cage, Forest Whitaker et Lana Clarkson.
Ne jetons aucune pierre. Il n’est pas facile d’entrer dans la carrière quand les aînées traînent et mettent du temps à ne plus y être. Aussi, pour un « Scarface » (1983), où elle tient le rôle d’une fille dans un club, et un « Cheeseburger Film sandwich » (1987), pour quelques passages dans des séries TV connues même si souvent ringardes (« La croisière s’amuse », « Mike Hammer », « K2000 », « L’agence tous risques », « Madame est servie »), combien de séries Z la pauvre Lana Clarkson dut-elle se farcir pour essayer de se faire un nom ?
Reine des Barbares
Dès 1983 et « Female Mercenaries », elle semble trouver le sous-genre cinématographique qui va lui convenir le mieux : celui où de jolies filles farouches et dures à cuire tiennent tête à de gros balourds et leur en font voir de toutes les couleurs. L’exemple type de ce genre de films, sortes de « Conan » au féminin, est en 1985 « Barbarian Queen ».
L’histoire se déroule à l’époque romaine et toutes ces jolies guerrières n’ont pas froid aux yeux pour faire prendre leurs jupettes à leurs cous aux légionnaires. De méchants Romains zigouillent un village et ramènent chez eux les survivants pour en faire leurs esclaves. Trois nanas, mais attention, des nanas comac, s’en sortent et décident de se venger.
Pour raffermir votre bonne impression, j’ai déniché un extrait sur YouTube. Admirez la mise en scène, le jeu des acteurs, l’intensité des regards dignes de l’Actor’s Studio. C’est aussi cela, Hollywood.
Reine de la série B
Deux ans plus tard, quand John Landis veut rendre hommage au cinéma qu’il aime dans « Cheeseburger Film sandwich », il fait appel à Lana Clarkson pour le sketch « Amazon Women on the Moon ». Elle y seconde la reine des Amazones lunaires, jouée par la star du B sexy, Sybil Danning. Lorsqu’une fusée américaine débarque sur la Lune et se retrouve nez à nez avec les habitantes, c’est un grand pas pour la NASA même s’il reste petit pour le cinéma.
Lana, je vous le dis, a trouvé sa voie. Une heroic fantasy fauchée et sympathique, qui l’amènera encore à incarner, en 1989, Amathea dans « Wizards of the Lost Kingdom II » (« Les magiciens du royaume perdu II ») face à David Carradine mais, surtout, à Henry Brandon, qui fut le terrifiant Dr Fu Manchu en 1940 et dont ce fut l’ultime apparition à l’écran après 57 ans passés dans les studios à jouer les méchants Indiens, les méchants Chinois, les méchants Arabes et même, parfois, les méchants Américains.
Il y aura encore, en 1990, « Barbarian Queen II », suite et resucée du premier film, avec une reine qui veut reconquérir son trône et qui, en réfléchissant, préfigure la Daenerys de « Game of Thrones ». « Elle est sauvage. Elle est sexy. Elle est la Reine Barbare » annonce l’affiche du film. Autant d’atouts qui correspondent tout autant à cette princesse Athalia que joue Lana Clarkson qu’à Daenerys, interprétée dans la série par Emilia Clarke.
Une fois de plus, on est dans la série B voire Z et le film ne sortira qu’en vidéo. Mais il comporte un joli combat féminin dans la boue, spectacle qui, à cette époque, attirait le public mâle. Plus maintenant, bien sûr, faut pas charrier.
Après un film tiré d’Edgar Poe et de grands détours vers la télévision, Lana revient en 1997 au cinéma avec « Vice Girls », où les reines barbares sont changées en fliquettes mais où les personnages féminins sont toujours aussi prêtes à la marave. Et à dégainer.
Les experts américains plaident en faveur de « Vice Girls » pour donner à Lana Clarkson une véritable popularité dans le genre précis du film B. Malgré tout, les titres s’espacent, les rôles s’amenuisent et Lana semble arrêter sa carrière en 2001. Elle se tourne vers la pub et vante les voitures, les pompes et les soutiens-gorge. Elle trouve finalement un boulot d’hôtesse à la House of Blues de West Hollywood, établissement où l’on peut manger et écouter de la musique live.
Et là, à la manière du roi Loth dans la série « Kaamelott », génialement incarné par François Rollin, on se prend à soupirer en latin « sic transit gloria mundi », ce à quoi il aurait fatalement ajouté : « Je dis ça parce que je n’ai rien d’autre qui me vient pour l’instant à l’esprit. » Dans le cas de Lana Clarkson, n’exagérons rien. Elle ne connut jamais la gloire, seulement une petite célébrité.
Phil Spector croise son chemin
Phil Spector, le grand producteur qui avait créé le Mur du Son (une technique de production) et sifflé les verres des Beatles pendant qu’ils enregistraient « Let It Be », Phil Spector devait avoir sa table à la House of Blues. Le monsieur était reconnaissable entre tous à sa gouffa light et à son excentricité, capable de se livrer au meilleur comme au pire quand il était imbibé, de quoi on ne savait plus trop mais on savait qu’il l’était. Que pouvait représenter pour lui Lana Clarkson ? Une de ces jolies gonzesses qui déballent leurs nichons aussi vite que lui-même sortait un mouchoir de sa poche ? Savait-il seulement où il l’avait vue ? La connaissait-il bien ?
En tout cas, il l’embarque chez lui et Lana se laisse faire dans cette nuit du 2 ou 3 février 2003. Que s’est-il passé exactement ? Au petit matin, Spector va réveiller son chauffeur pour lui dire : « Je crois que j’ai tué quelqu‘un. » Deux procès suivent, le premier en avril 2007, à la fin duquel il ressort libre. Le second s’étale d’octobre 2008 à mai 2009 et il est finalement condamné à 15 ans de réclusion pour meurtre plus quatre pour la possession d’une dizaine d’armes, alors qu’il ne cesse de répéter que Lana s’est suicidée. Et que des témoins affirme qu’à la moindre occasion, Spector est capable de sortir un flingue et de menacer celui ou celle qui le contrarie.
C’est ce même Phil Spector qui vient de passer, laquelle des dix je ne sais pas, son arme à gauche. Ce Phil Spector dont les journalistes disent qu’il a été un grand producteur et emprisonné pour le meurtre d’une actrice. Précisons, bon sang, pour le meurtre de Lana Clarkson, splendide reine barbare qui trouva sur son chemin plus barbare qu’elle.
Ajoutons qu’en 2013, la chaîne HBO et le cinéaste David Mamet demandèrent à Al Pacino d’incarner le producteur dans le téléfilm « Phil Spector ». Rappelons que le nom de Pacino avait été inscrit au même générique que celui de Lana Clarkson pour « Scarface ».
Un jour Lana, quand le vent a tourné, aurait-on envie de murmurer en parodiant les Compagnons de la chanson et leur reprise du « Lara’s Theme », morceau le plus célèbre du « Docteur Jivago ». Ce jour, Lana, contrairement à d’autres, tu n’es pas même entrée dans la gloire en mourant. Que ces quelques lignes puissent te rendre hommage.