Journal d’un confinement (1)

Samedi 14 mars

Lorsque je suis rentré tout seul de la gare, après avoir mis femme, enfants et chien dans le train pour la campagne, partis se mettre au vert puisque les écoles avaient été décrétées fermées, je me suis demandé que faire. L’appartement était assez grand, le frigo était plein et j’avais des étagères qui débordaient de bouquins et de DVD. De quoi tenir un siège. Heureusement, nous n’en étions pas là et je me suis dit que j’allais me faire un film au cinéma, rentrer me mitonner un petit dîner puis me planifier un DVD. Je dis un DVD car je ne regarde plus les programmes TV, tant ils me paraissent insipides, et je n’ai aucun abonnement, pas plus à Canal qu’à Netflix ou OCS. Et, en matière de DVD, j’ai largement de quoi voir venir. Il n’y avait plus qu’à choisir lequel.

Il se trouve que, dans un cinéma de la ville, l’avant-première de « Mon cousin » était programmée, en présence de deux des interprètes du film. J’y suis donc allé. Dans la salle, on nous a demandé de nous placer à distance respectable les uns des autres.

Distance de confinement

Je viens de rentrer de la séance, le film n’est pas terrible. Mais il y a pire. Je me suis branché sur les infos parce qu’un bruit courait au cinéma. Et ce bruit s’est avéré véridique : le gouvernement fermait à minuit tous les lieux de spectacles. Théâtres et cinémas. Étrange.

Après mon repas vite avalé, pour exorciser la mauvaise impression du film précédent, je me suis fait un petit western. Ah, les westerns, c’est toujours sympa. Dommage que les femmes n’aiment pas trop cela. En tout cas, la mienne. J’ai choisi « La cible humaine » (1950) de Henry King, dans lequel Gregory Peck est le meilleur tireur de tout l’Ouest. Un tireur fatigué et vieillissant, qui en a sa claque, sitôt arrivé dans une ville, de voir se pointer un freluquet qui le toise et le défie, dans le but d’être celui qui aura descendu Johnny Ringo. Johnny Ringo, c’est le nom de Peck et c’est, comme l’expliquent dans les bonus Patrick Brion et Bertrand Tavernier, un des combattants du fameux gunfight d’OK Corral. Un de ceux qui étaient du côté des méchants, contre Wyatt Earp et Doc Holliday. Ringo, donc, est obligé de tuer un jeune pistolero en légitime défense et il s’enfuit, poursuivi par les frères de ce dernier, vers Cayenne, une ville où il a quelqu’un à voir. L’essentiel du film va se trouver confiné dans un saloon où Ringo a trouvé refuge et c’est génial. Les gens viennent le voir – le shérif qui est son copain, les gamins du bled, les curieux, un autre pistolero en quête de gloire, les dames du patronage qui ne veulent pas d’un tueur chez elles – et King filme magnifiquement le temps qui passe, non seulement entre le poursuivi et ses poursuivants mais aussi pour le héros fatigué d’avoir suivi une voie qui ne lui convient plus. Du grand art.

Steve Tesich - Karoo

Il est presque minuit. Les cinémas sont désormais fermés en France. Il est temps de se mettre au lit avec un bon bouquin, « Karoo » de Steve Tesich. L’auteur est le scénariste de plusieurs films, dont « Le monde selon Garp », et ce roman cynique a été achevé peu de temps avant sa mort. J’adore ces écrivains américains cyniques, dont l’un des premiers est sans doute Henry Miller et sa candeur égoïste. Suivront Philip Roth, Charles Bukowski, Brett Easton Ellis et des auteurs de polars comme le grand Jim Thompson. « Karoo » démarre bien avec ce type qui porte le nom d’un désert sud-africain et qui est script doctor de son état, c’est-à-dire qu’il retape les scénarios des autres. Le gars se rend compte qu’il n’arrive plus à être ivre, malgré les quantités d’alcool ingurgitées. On ne sait pas s’il dit vrai ou pas puisqu’il joue à l’homme ivre, c’est du moins ce qu’il raconte, mais, quoi qu’il en soit, il rate tout : ses relations avec les autres, en particulier son fils, comme son travail. Je peux m’endormir en me disant que le temps que je passerai à lire ce livre ne sera pas perdu.

Dimanche 15 mars

Je traîne un peu, passe quelques coups de fil à la famille et aux amis, vais voter et faire un tour dans le parc. Tout ce qu’il ne faut pas faire puisque, on n’arrête pas de nous l’annoncer, l’épidémie va faire rage dans peu de temps.

Le soir, je regarde « Five » (1951) d’Arch Oboler. Un DVD dur à trouver qui existe chez un petit éditeur espagnol, L’Atelier 13, qui a eu la bonne idée de sortir plusieurs films de SF américains en v.o. sous-titrées en espagnol ET en français. Le film est ensuite ressorti chez Artus. « Five », cinq donc, c’est le nombre de survivants à une apocalypse nucléaire. Cinq personnes obligées de se supporter dans une maison. Quatre blancs et un noir. Quatre hommes et une femme. On se doute des tensions qui vont naître. C’est plutôt bien foutu malgré le manque de moyens. L’absence de stars renforce la véracité de ce que l’on voit. Malgré quelques moments statiques, c’est fort, cruel. Confiné.

Lundi 16 mars

Je passe la matinée au boulot, attendant un rendez-vous qui ne viendra pas pour cause d’épidémie et la nouvelle tombe. Que ceux qui peuvent faire du télétravail restent chez eux. D’autant plus s’ils sont vieux et malades. Pour tout dire, je me sens d’un coup vieux et malade et décide de rentrer télétravailler. Le soir, notre cher président nous annonce que nous sommes en guerre et qu’on ferait mieux de rester chez soi. Ceux qui devront sortir pour aller au boulot, faire leurs courses ou du jogging devront se munir d’un ausweis.

Charlton Heston, le Survivant

Alors, je cherche dans ma collection de DVD « Le survivant » (1971) de Boris Sagal, tiré du génial roman de Richard Matheson, « Je suis une légende ». Charlton Heston se retrouve à Los Angeles le seul survivant d’une épidémie. D’autres, atteints par la maladie, sont restés en vie mais se terrent à l’abri de la lumière et ne sortent que la nuit, tels des vampires, pour faire sa fête au petit père Heston, grandiose comme dans ses autres films de science-fiction (« La planète des singes », « Soleil vert »). Il est, comme le précise le titre anglais, l’Omega Man, le dernier homme, une légende. Un remake sera tourné en 2007 avec Will Smith, pas mal, mais qui ne vaut pas ce « Survivant » que j’avais découvert gamin et adoré. Parfois, quand je me retrouvais coincé dans le métro aux heures de pointe, je rêvais que j’étais Charlton Heston roulant dans les rues désertes de la grande ville, choisissant une belle voiture chez un concessionnaire et partant avec en passant à travers la vitrine, sans rien demander à personne. Mais je me disais que, quand même, le Charlton souffrait de solitude puisqu’il entrait dans un cinéma et se projetait pour lui tout seul « Woodstock » et sa foule pacifique. Ces gens qui passaient leur temps à se serrer les uns aux autres, écouter de la musique et s’aimer.

Avant de m’endormir, je me retrouve avec le héros de « Karoo », si solitaire, si triste de ses maladies inventées.

Mardi 17 mars

C’est officiel, le confinement est au programme de la France, il démarre cet après-midi. Le télétravail, ça va cinq minutes mais, au bout d’un moment, quand on en a marre d’être sur l’écran de l’ordinateur sans personne autour, on passe à celui de la télé. Mais personne non plus n’est autour. Entre les deux, je jette un coup d’œil par la fenêtre. La rue est déserte. Étroite et déserte, l’immeuble d’en face n’étant distant que de guère plus d’une dizaine de mètres. J’espère voir ma voisine que, souvent, l’été, j’aperçois seins nus quand la canicule est au plus fort mais sa fenêtre est fermée. Peut-être a-t-elle quitté la ville avant la catastrophe, elle aussi. La rue est déserte et je me dis que, si j’habitais en face d’un concessionnaire, je pourrais partir au volant d’une belle américaine en fracassant la vitrine. Je ris si fort que je me retourne brusquement, croyant avoir entendu quelqu’un derrière moi. Mais ce n’est que l’écho de mon rire que me renvoie la vaisselle étincelante utilisée pour mon dernier repas, lavée et séchant à côté de l’évier.

Old Boy film de confinement

Sachant que je fais cela pour rien, j’allume la télé et regarde la grille des programmes du soir. Je fais rapidement défiler toutes les chaînes, plus tristes qu’une armée d’occupation entrant dans Paris, mais, une fois de plus, il n’y aura rien ce soir, rien à se mettre sous la dent. Alors, je regarde attentivement ma collection de DVD. « Nuit d’été en ville » (1990) de Michel Deville ? L’histoire d’un couple qui passe tout le film dans une chambre et parle, parle. Non, finalement, et si je me faisais « Old Boy » (2003), ce génial film coréen de Park Chan-wook ?

Un homme est enlevé et gardé pendant quinze ans dans une pièce, avec pour seule ouverture sur le monde une télévision qui lui apprend qu’il est recherché par la police pour le meurtre de sa femme. Il ne comprend pas ce qu’il fait là ni pourquoi il est ainsi enfermé. Jusqu’au moment où, tel Monte-Cristo, la porte va s’ouvrir et il pourra revenir à la vie pour accomplir sa vengeance. Je me souviens que j’avais découvert ce film pendant le festival de Cannes, à une séance tardive, et qu’il m’avait fait une forte impression. Elle est toujours aussi forte aujourd’hui et les quelques pages que je lis de « Karoo » vont m’accompagner dans un sommeil perturbé où je rêve que je suis entouré d’amis mais que je n’arrive pas à faire ce que je dois faire. C’est important mais je n’arrive vraiment pas à le faire et je me réveille fatigué.

Mercredi 18 mars

Le télétravail m’occupe, quelques coups de fil aussi. Devant l’épicerie du coin de ma rue, une file d’attente s’est formée. Les gens se tiennent à distance les uns des autres. Je dois aller faire quelques courses aussi j’imprime une autorisation de sortie et me rends à la supérette, à quelques centaines de mètres de là. Les rares personnes que je croise détournent le regard et changent de trottoir. J’ai l’impression d’être pestiféré. Tout fait peur. Les poignées de porte que l’on touche, l’argent que l’on peut prendre en mains, la monnaie que l’on rend, la boîte de conserve saisie à pleins doigts, l’épaule que l’on a frôlée en changeant de rayon.

Le confinement et le ravitaillement

En rentrant chez moi, l’impression est tenace d’un mal de tête, d’un coup de froid pris à l’extérieur et qui va, dans un instant, me clouer au lit. Sans plus personne chez moi, ni femme ni enfants ni chien, qui va pouvoir appeler le médecin en cas de besoin ? Et comment fait-on, d’ailleurs, en cas de fièvre et de toux ? Je ne me souviens plus de rien, tout se brouille. Doit-on se déplacer en titubant jusqu’aux urgences, appeler le 15, hurler par la fenêtre ou mourir dans son lit, comme la sœur de cet acteur italien qui s’est filmé en vidéo, isolé dans son appartement avec un cadavre ?

J’ai encore un peu travaillé, fait une réunion en visioconférence avec mes collègues, ai échangé quelques bêtises avec eux pour passer le temps. Je surfe un peu sur internet quand un bruit attire mon attention. Il est 20 heures et les voisins se sont mis aux fenêtres pour applaudir le personnel soignant qui fait un sacré boulot. Je ne vois pas ma voisine.

Cujo, Stephen King

Après un frugal repas, il est temps de voir un film. Tiens, et pourquoi pas « Cujo » (1983) de Lewis Teague, d’après le roman de Stephen King ? Le film décolle vraiment avec cette fameuse séquence, longue et à couper le souffle tant elle est bien montée, au cours de laquelle Dee Wallace et son jeune fils sont enfermés dans une voiture. Dehors, un molosse, le Cujo du titre, veut absolument pénétrer dans l’habitacle pour pouvoir les bouffer. Eux, bien entendu, n’osent pas sortir mais souffrent de la chaleur, de la faim et de la soif et de ce sentiment terrible d’être coincé dans un endroit sans pouvoir en bouger. C’est à vous rendre claustrophobique.

La fraîcheur nocturne s’est installée dans mon appartement. J’enfile un gros pull sur le pull que je porte déjà. Mes mains sont glacées et je tente de les réchauffer sous un plaid tout en suivant l’enfermement de l’héroïne et de son gosse dans la voiture. Je me réchauffe progressivement mais il est temps d’aller au lit, suivre les aventures de Karoo plus que jamais isolé dans son manque de confiance dans la vie.

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