Nous voilà parti pour un match France-Angleterre-USA qui promet du suspens, de l’émotion, de la tension et de l’attention. L’arbitre de la partie sera Jacques Brel, le grand Jacques, l’éternel grand bluesman absent, fantôme des Marquises, dont les chansons se plient facilement à l’adaptation, à la torsion, à la torture, à la séduction sans jamais rompre.
Pourquoi un match ? Parce qu’il y a deux albums. Le premier et le deuxième.
Sur le ring, dans le coin droit les francophones, dans l’aut’coin, les anglo-saxons. A regarder les noms, déjà sur le papier les franchouillophones ne font pas le poids. Tout simplement parce qu’aucun de ces artistes n’est international. Balèzes dans leur club mais pieds carrés dans le reste du monde. Pas grave, sur un match tout peut arriver.
Côté langue de Molière
Le trio de tête frappe fort. Bashung, princier dans sa reprise de volée du Tango Funèbre. Pas possible de faire plus funèbre. Arno, roi de la reprise, éructe La… La… La… et Dick Annegarn, le hollandais… volant dans les plumes de Jef. Mais ça se gâte avec Faudel qui la joue couscous-kebab avec Ne Me Quitte Pas. Si, je m’en vais. Certains crieront ô sacrilège ! Pas moi, m’en fous, j’adore le métissage, mais là, Faufau t’as tout faux. Ces Gens-là prend de la hauteur et de la masse musculaire avec Noir Désir même si je préfère la version d’Ange absente de cette compile et c’est bien dommage. Quoi d’autre ? Stephan Eicher livre une version très propre sur elle de Voir Un Ami Pleurer. Une version Suisse quoi. Zebda, Kent, Têtes Raides, Benabar (qu’est-ce qu’il fout ici lui ?), Polo (qui c’est celui-la ?) livrent un match nul, sans grand intérêt.
M fait du M, j’aime, loin de la gemme tout d’même mais où y’a d’la gemme y’a pas d’plaisir. Chedid s’en prend Au Suivant avec une orchestration proche de l’original tout en restant original avec sa voix perchée et ses traits de guitares. Eiffel enferme Le Plat Pays dans un sac de frappe et lui met une branlée magnifique. Juste un accordéon, une guitare lourde et Romain Humeau qui donne tout ce qu’il a pour un final dans la plaine fumante à grands coups de riffs. Magnifique !
Mort Shuman & Jacques Brel
Faut préciser avant tout que Mort Shuman (oui, celui de Papa Tango Charly), seul ou avec Eric Blau avait traduit Brel pour sa comédie musicale intitulée Jacques Brel Is Alive And Well And Live In Paris pour le public Anglo-Saxon. Une comédie musicale qui rencontra un succès énorme et fit découvrir le Belge aux Ricains. Puis Scott Walker, les a chantées et beaucoup d’artistes déclarent que ses versions les ont fortement influencés et leur a fait connaître le belge.
Autre traducteur de talent, Rod McKuen, poète, compositeur et parolier américain. Ami de la Beat Génération, on le retrouve ici chanté par quelques pointures, mais nous y reviendrons.
Messieurs les Anglo-Saxons tirez les premiers
La compile démarre fort avec une salve de pépites. Mathilde (je vous traduis pas, c’est bon ?) par Scott Walker, la référence; une version miel et bonbon, anglais et français avec cet accent si charming, de If You Go Away (Ne Me Quitte Pas, traduction McKuen) par la grande Dusty Springfield. Ne Me Quitte Pas version briton n’est pas mal non plus dans la bouche d’Emiliana Torrini Davíðsdóttir, islandaise d’origine italienne (alors là, ça métisse dur !). Puis, virgule-petit-pont-aile-de-pigeon-et-but, Bowie et sa version habitée d’Amsterdam que j’adore, n’en déplaise à Mark* enchaînée avec Next (Au Suivant, traduction Shuman/Blau) la version rock et ultime par le Sensational Alex Harvey Band. Il y a une autre version de Next dans cette compile par Gavin Friday And The Man Seezer qui auraient pu s’abstenir. Après l’ascension des cols catégorie 4 et le vertige des hauteurs c’est la descente pour quelques versions insipides signées Paul Armfield, Divine Comedy, Jimmie Rodgers, Mark Almond.
Scott Walker revient avec sa version romantique noire de The Girls And The Dogs (Les Filles Et Les Chiens), Nina Simone, seule au piano, toujours flamboyante dans The Desperate Ones (Les Désespérés – Ils n’ont peut-être pas osés mettre sa version de Ne Me Quitte Pas de peur de faire passer la Dusty et l’Emilia de titulaires à remplaçantes reléguées sur le banc).
On termine avec le tube international monstre de Seasons In The Sun, traduction signée McKuen du Moribond pour Terry Jacks. Numéro 1 dans de nombreux pays, tout le monde l’a entendue au moins une fois. Terry Jacks fit quelques modifications du texte, jugeant l’originale trop macabre. Jacques Brel doit encore en faire des loopings dans sa tombe ! Z’ont pas d’humour ces canadiens (Oui, Terry est Canadien).
Score final
Le packaging est soigné avec des livrets bizarrement faits. Le français ne contient que les paroles, rien sur les artistes, les contextes, à croire que nous connaissons tout. C’EST QUI POLO ???? Le livret anglais est plus fourni avec des explications pour chaque chanson et un long texte d’introduction en français et en anglais expliquant qui était Brel pour les Ricains, qui a traduit, pourquoi, comment, où courge, dans quel étagère…
Résultat des courses, je déclare le match nul, non pas qu’il fut nul mais qu’il y a dans chacun de ces hommages à Brel, à boire et à manger, du bon, du moins bon. Si vous aimez Jacques Brel…
… écoutez Jacques Brel.
* Il y a longtemps, je déjeunais avec Mark Almond lors d’un repas de presse et j’étais placé juste à côté de lui. Entre deux verres de délicieux Condrieu, nous papotions de choses et d’autres lui s’essayant au français, moi, à l’anglais. Je lui parlais des reprises de Brel puisqu’il était concerné, et le v’la t’y pas qu’il s’en prends à la version de Bowie d’Amsterdam. M’expliquant que David s’était fourvoyé et qu’il avait raté sa reprise. Je me suis levé, je l’ai giflé, il s’est mis à pleurer, je l’ai regiflé puis me suis rassis (comme le bon pain) pour bouder jusqu’à la fin du repas. Naannn, j’déconne ! On s’est lancé dans un débat passionnant, lui avec ses 3 mots de français, moi avec mes 4 d’anglais. On a bien rigolé.
Je vais prendre une ou deux tartes moi aussi car je trouve la version Bowie d’Amsterdam, comment dire…À peine passable.
Je peux y aller ? T’as plus mal aux dents ?
Tu peux! Et puis tant que tu y es vas-y, dis moi des mots, insulte moi en allemand!
Ayant la qualité de quelqu’un qui n’apprécie pas Jacques Brel le chanteur, encore moins la plupart de ses chansons, je préfère d’emblée la version d’Amsterdam par David Bowie à l’originale. Cela n’en fait pas pour autant une chanson que j’écouterais souvent, mais that’s my point.
Alors je sais, dire (ou écrire) qu’on apprécie pas Brel, ça fait dissonant dans la plupart des soirées mondaines ou pas. Par contre, j’apprécie beaucoup le bonhomme, l’acteur, ses interview. Le reste est une affaire de goût, et ses chansons n’embrassent pas les miens.
Le pire pour moi étant tout le foin qui entoure « Ne me quitte pas », dont je conviens que le texte est certes joli, mais qui est qualifié tellement souvent de chanson d’amour alors que c’est une pathétique complainte tournée vers le pôv’ amoureux délaissé, qui se met lui-même plus bas que terre afin de récupérer non pas de l’amour mais la présence indispensable à sa survie de l’objet de son désir. L’être soi-disant aimé devient en effet un objet, un moyen égoïste d’atteindre sa propre complétion, sans que la question de son épanouissement propre soit posée autrement que par des promesses de satisfaction bien hypothétiques. C’est aux antipodes de l’amour, contrairement à une chanson telle que « Pars » de Jacques Higelin, par exemple, qui correspond à mes yeux et à mes oreilles bien plus au qualificatif de « chanson d’amour ».
Savoir laisser partir l’autre, c’est un vrai acte d’amour, le supplier de rester, c’est… juste un genre de supplique.
That being said, chouette article bien documenté, Glob. Comme d’hab’ ai-je envie de dire 🙂
Aux nombreux mérites de cet article s’ajoute d’ailleurs celui de mettre en avant qu’une fois de plus, la loi d’un autre Jacques (Toubon en l’occurrence) semble ne pas être respectée, le public francophone ayant droit à une version tronquée du livret.
Très bonne analyse de Ne Me Quitte Pas… De toute façon c’est un pleurnicheur, normal qu’elle le quitte même si on a vu souvent rejaillir le feu, bla, bla, sniff.