Murs de briques
La disparition du cinéaste Alan Parker, ce 31 juillet 2020 à l’âge de 76 ans, sera-t-elle l’occasion d’évacuer quelques a priori ayant collé à sa carrière ? À commencer par sa nationalité. Bien qu’ayant travaillé essentiellement aux États-Unis, Parker était Anglais. Mais finalement qu’importe, on pense souvent que Terry Gilliam, une des chevilles ouvrières des Monty Python devenu depuis un cinéaste renommé, est Anglais alors que lui est né dans le Minnesota.
Si un élément fait de l’ombre à Parker, c’est bien le film qui l’a rendu célèbre : « Midnight Express » (1978). Le grand public a eu beau acclamer l’histoire de ce jeune Américain qui se retrouve emprisonné en Turquie (un scénario d’Oliver Stone enveloppé dans la musique de Giorgio Moroder), certains critiques et cinéphiles ont été plus chatouilleux, tant le pamphlet semblait raciste. Cette même année 1978, un autre film partageait également l’opinion à cause d’un pro-américanisme quelque peu douteux. C’était « Voyage au bout de l’enfer » de Michael Cimino. « Midnight Express » et « Le Voyage » sont tous deux devenus des classiques. Sulfureux, certes, mais classiques quand même.
Malgré les résumés de la presse à l’annonce de son décès, Alan Parker n’est pas l’homme d’un seul film. Loin de là. Pour ma part, je place très haut « Mississippi Burning » et j’aime beaucoup « Angel Heart » et « The Wall ». Ces trois-là se situent bien au-dessus de ce « Midnight Express » qui lui valut sa réputation.
Beds are burning
Tourné en 1988, « Mississippi Burning » creuse d’emblée un sillon dont les premières traces remontent aux cinéastes progressistes des années soixante : celui de la dénonciation de l’intolérable racisme qui fige depuis si longtemps le Sud profond. Après, entre autres, « The Intruder » (1962) de Roger Corman, « La poursuite impitoyable » (1966) d’Arthur Penn, « Dans la chaleur de la nuit » (1967) de Norman Jewison et « Que vienne la nuit » (1967) d’Otto Preminger, avant « BlacKkKlansman » (2018) de Spike Lee, Parker plante sa caméra dans un terroir douteux où des péquenauds s’arrogent tous les droits, qu’ils portent ou pas un uniforme. Ceux, entre autres, de tabasser leurs femmes et de tuer qui bon leur semble, surtout si la couleur de peau ne leur convient pas.
Basé sur des faits réels survenus en 1964, le scénario de « Mississippi Burning » suit des agents du FBI (Gene Hackman et Willem Dafoe) dans leur enquête sur la disparition de jeunes étudiants noirs, militants des droits civiques, face à des flics bouseux infiltrés au plus haut point par le Klan. Le film joue sur plusieurs éléments : le buddy movie, avec deux agents que tout oppose, l’un à cheval sur les règlements appris à l’école et l’autre non, et les sujets qui ne peuvent que révolter le spectateur, tels le racisme et la violence faite aux femmes.
Vision blanche du racisme, comme « BlacKkKlansman » est son alter ego noir, « Mississippi Burning » est un excellent polar aux personnages finement ciselés, dans lequel on adore détester les nombreux personnages de salauds qui hantent le film. Avec une mention spéciale pour Frances McDormand, qui incarne la femme de l’un d’entre eux (Brad Dourif), alors quasiment à ses débuts et déjà géniale.
À la manière d’une célèbre chanson de Midnight Oil, Parker semble s’étonner que les Américains ne se soient pas encore inquiétés d’une violence qui les traverse depuis si longtemps (et qui n’est malheureusement et moins que jamais réglée). Le temps est venu, semble-t-il leur dire, de payer ce que l’on doit. Comment pouvez-vous, les questionne-t-il, continuer à faire comme si rien ne se passait jamais alors que vos territoires, vos lits sont en train de brûler ?
Allez, on se met un petit coup la chanson pour mieux saisir :
Tout ceci devient réellement du hors-sujet, mais comment résister à l’envie de partager la version qu’a donnée Patti Smith de cette même chanson à Dublin, il y a deux ans ?
Alan Parker un auteur ?
Mais revenons à Alan Parker. Peut-on en faire un auteur, au sens où l’entendaient les Cahiers du Cinéma ? Sans doute pas car on ne décèle que peu de points communs entre chacun de ses films, sinon qu’il pose un regard peu amène et plutôt critique sur les États-Unis avec souvent un besoin de contester l’autorité et les murs que la société dresse entre les individus. C’est flagrant dans « Midnight Express », « Mississippi Burning » et « Pink Floyd The Wall ». Présent aussi dans « Birdy », où l’enfermement est dû aux traumatismes créés par la guerre. Et dans « Bienvenue au Paradis » qui montre les camps d’internement des citoyens américano-japonais pendant la Seconde Guerre mondiale. Et dans « Les cendres d’Angela » qui illustre l’injustice sociale de la Grande Dépression en Irlande. Et, enfin, dans « La vie de David Gale » qui traite du sujet de la peine de mort.
Et si ces murs sur lesquels buttent l’essentiel des personnages créés par Parker sont en briques, son cinéma a finalement, à la manière de la chanson des Pink Floyd dont il a brillamment illustré l’opéra-rock, patiemment ôté l’une après l’autre une de ces briques. Et chacun de ses films devenait une autre brique dans le mur que le cinéaste enlevait pour le fragiliser. À tel point que, libérés de nos chaînes, nous nous prenions pour des oiseaux, tel le héros de « Birdy ».
Bon, après tout cela, je reviens sur ce que j’écrivais quelques lignes plus haut. Peut-on considérer Alan Parker comme un auteur ? Certes, il n’aura jamais la réputation d’un Kubrick, d’un Scorsese ou d’un Tarantino, ni un univers reconnaissable, ni un style particulier dans sa manière de filmer. On peut toutefois remarquer, au vu des sujets d’une grande partie de sa filmo, que des thématiques fortes lui tenaient à cœur. Comme quoi, les idées préconçues.