J’ai mis du temps à rentrer dans ce livre. Pour plusieurs raisons que j’ai réussi à identifier. Étonnant parce que je l’attendais avec impatience, Jérôme Soligny étant le passeur, le conteur officiel (en langue française) de la vie et l’art de Bowie.
Mais j’avais déjà lu toutes les éditions de la Bowie story signées par le journaliste Havrais : David Bowie chez Albin Michel en 1996 puis David Bowie en 2002 chez 10|18 (nouvelle édition revue et augmentée). Puis il y a eu David Bowie Ouvre Le Chien, Conférences à la Cité de la Musique paru en 2015 à l’occasion de l’exposition David Bowie Is… Sans compter l’autobiographie de Tony Visconti, le producteur et ami de Bowie, traduite par Jerôme Soligny, le pavé de Dylan Jones David Bowie : A Life sorti chez RING en 2018, le David Buckley chez Flammarion (2004). Ajoutez à ça les nombreux ouvrages parus, signés d’inconnus ou de moins connus ou d’opportunistes; les magazines qui ont livré des hors-série de haute voltige et les interviews fleuves. Peut-être en avais-je soupé de la vie de Bowie que je commençais à connaître sur le bout des doigts. Naannn, j’déconne !
Jérôme Soligny
Non ce n’est pas la raison principale. C’est toujours un plaisir de découvrir la vie passionnante de Bowie. Le livre de Soligny, l’objet, est magnifique. Un superbe pavé de plus de 500 pages. Un beau papier qui tient bien au doigt et met en valeur le texte avec des pages blanches pour l’histoire et pages violettes, mauves plutôt, voire parme (et mourir) pour les interviews.
La raison pour laquelle j’ai rechigné à lire ce bouquin, c’est d’abord qu’il est mastoc. Un gros bouquin comme ça ne se manipule pas comme un essai d’Onfray en livre de poche. Pas question de lire au lit ou avachis dans un sofa. Au bout d’un moment il y a une partie de votre corps, voire plusieurs, qui crient au supplice.
Ce n’est pas un livre qui se lit en diagonale. Surtout pas, il se déguste de gauche à droite, concentré pour assimiler les moultes informations avec, si possible, le disque à portée pour écouter ce qui est écrit.
Et puis, il y a les notes ! Putain de notes, vous savez les petits chiffres en indice d’un mot qui vous coupent dans votre lecture parce que l’auteur, l’éditeur, le traducteur ou la femme de ménage ont cru bon de vous envoyer en bas de page pour vous raconter une anecdote, vous signaler que c’est En français dans le texte ! (putain on avait remarqué…), ou vous donner les références exactes d’une citation, d’un extrait. Là, le bouquin en est truffé de notes. Et pour notre gymnastique elles sont souvent des plus intéressantes, digressant du sujet pour le mettre dans le contexte, nous présenter un lieu, un personnage, une époque.
Avé les doigts
Ce qui est moins simple, c’est que le livre se décompose en chapitres, chacun étant consacré à un album. Chaque chapitre contient la narration, la bio en elle-même et une deuxième partie, en mauve, voire violet (et mourir) qui contient les témoignages et extraits d’interviews en rapport. A chaque partie de chapitre les nombreuses notes casse-couilles sont regroupées à la fin ce qui oblige à une gymnastique physique et intellectuelle. J’ai bien essayé de lire toutes les notes après la lecture du chapitre mais je ne me rappelais plus de quoi ça causait, à quoi elles correspondaient ce qui m’obligeait à faire la gym dans l’autre sens. Et c’est coton de retrouver dans le texte dense et foisonnant les petits chiffres en question.
Voilà la principale raison qui m’a fait rentrer dans ce bouquin à reculons. Trop chiantes ces notes. Mais j’ai trouvé la parade ! Je m’installe confortablement sur une table. Ma main droite est coincée à la page des notes. Ma main gauche sert à tourner les pages, poser le doigt sur le mot indicé d’une note et le tour est joué. Dés que je tombe sur une note, ma main droite rentre en action et je découvre pourquoi l’auteur a cru bon de déranger la fluidité de la lecture. Je ne rate rien, je reste dans le sujet et découvre grâce à ces notes de fin de chapitre des histoires croquignolesques et croustillantes, des lieux, des artistes, des références, etc.
Depuis, je suis un autre homme, je me régale à lire Soligny et Bowie dans ce Rainbow Man et j’ai fini le chef d’œuvre. J’attends avec impatience la deuxième partie qui devrait sortir en octobre et c’est quand vous voulez, je suis prêt !
David Bowie; Rainbow Man (1967-1980)
(préface de Tony Visconti)
Jérôme Soligny – Gallimard – 7 novembre 2019