Sur la quatrième de couverture de « Cartel », l’éditeur a inscrit cette phrase en rouge sur fond noir: « 10 ans après La griffe du chien, le Mexique saigne encore ».
Et comment !!
Cartel mexicain
Tout au long de « Cartel » (paru en 2016), Don Winslow décrit avec une grande méticulosité tous les affrontements entre les cartels de la drogue au Mexique; ce qu’il avait plus ou moins fait dans « La griffe du chien » en 2006. C’est une réelle horreur que de lire ces descriptions et franchement, la cruauté sans limite de ces barons de la drogue est un peu dure à digérer à force. Mais Don Winslow est très pointu sur le sujet et sa présentation du marché et des enjeux pour les narcos mexicains fait parfois passer le reste au second plan.
« Cartel », tout comme « La griffe du chien » est une œuvre de fiction largement inspirée de faits réels. Winslow a ausculté bon nombre de travaux journalistiques sur le sujet et ses deux bouquins sont extrêmement bien documentés.
Au Mexique, l’échiquier du trafic de la drogue ressemble aux sables mouvants. Ton ennemi juré du moment viendra un jour te serrer la main, si tu veux faire la paix avec lui, question de stratégie. Les inimitiés et la haine sont mis au rencart à un instant T, non seulement pour préserver le cartel d’une probable disparition mais aussi pour étoffer son contrôle sur les chemins de transit de la drogue, particulièrement à la frontière (Tijuana, Ciudad Juarez, et New Laredo, par exemple). Généralement c’est du trois contre un : les deux cartels qui veulent voir la disparition du troisième et les fédéraux mexicains qui vont du côté des dollars et des probables vainqueurs.
Le simple contrôle frontalier des semi-remorques chargés de drogue rapporte des sommes astronomiques aux cartels grâce au « piso », le droit de passage. Beaucoup plus qu’il n’en faut pour acheter le nombre de douaniers nécessaires. Ce livre nous dit ou nous apprend si nous ne le savions pas, que la police mexicaine est corrompue jusqu’à la moelle, les exceptions confirmant la règle.
Du sang et des larmes
Le bruit des armes et l’odeur du sang sont omniprésents dans les deux premiers livres de Don Winslow. Pourtant, la stratégie américaine en matière de trafic de drogue (car toute la came part pour les Etats Unis : héroïne, cocaïne, methamphétamine, marijuana) n’est pas oubliée loin de là. Mais elle dépend de tant d’institutions : DEA, CIA, Maison Blanche etc…etc…) qu’on a du mal à voir une volonté claire d’éradiquer l’énorme trafic qui remonte du Mexique.
Et l’intérêt de « Cartel » (comme ce fut le cas pour « La griffe du chien »), réside dans la description totalement crédible faite par Winslow des relations tendues et des rapports de force existant entre les différents services US pour mettre fin à ce trafic et à ces carnages.
Quelques chiffres intéressants : de 2006 à 2016, 40.000 personnes ont disparu au Mexique. Environ 80.000 personnes ont été assassinées par les cartels, la police et les fédéraux mexicains. De 2008 à 2012, 10.000 personnes sont mortes dans l’affrontement qui a opposé le cartel de Juarez au cartel de Sinaloa.
Aujourd’hui les combats continuent et l’ancienne hiérarchisation des cartels disparaît peu à peu – nous apprend Winslow – laissant place à de nouvelles structures sorties de terre, des structures dont les jeunes dirigeants ne respectent plus aucun code (honneur, décence, justice).
Avec en toile de fond le pouvoir politique mexicain qui n’a toujours pas trouvé la clé pour faire cesser tout cela. En lisant Winslow, on sent qu’il aimerait bien (car l’opinion publique le pousse aux fesses) mais qu’il n’y arrive pas.
Tous coupables
En fin de bouquin, le témoignage d’un journaliste de Ciudad Juarez qui sait que sa fin est proche, est particulièrement émouvant. Pour lui tous sont coupables : gouvernement mexicain, chambre des députés, Maison Blanche, Congrès US, l’AFI, la DEA (organismes importants de lutte contre le trafic au Mexique et aux Etats Unis). Tous coupables de meurtres, de tortures, de viols, d’enlèvements. Et par dessus tout, coupables d’indifférence. « Je parle pour ceux qui ont tenté de dire la vérité, que vous avez refusé de soutenir et que finalement vous avez supprimés».
Au dos de « La griffe du chien », James Ellroy écrit : « C’est le plus grand roman sur la drogue jamais écrit. Une vision grandiose de l’Enfer et de toutes les folies qui le bordent ». Pour « Cartel » : « Le Guerre et Paix des romans sur la drogue ». La saison 3 : « Vengeance » déjà paru en édition originale chez Seuil promet d’être grandiose
Un détail. « La griffe du chien » et « Cartel » font plus de 800 pages chacun. C’est en version Poche mais tout demême. Bonnes soirées.