Je ne suis pas un grand amateur de Léo Ferré mais chaque fois que j’entends Avec le temps, mon cœur se serre, Jolie Môme, ma bouche sourit, C’est extra, mon ventre papillonne, Thank you Satan, mes poings se crispent. Jamais insensible à l’art du monégasque. D’ailleurs, Léo Ferré était-il plus écrivain que musicien ? Ses textes magnifiques, son admiration pour Baudelaire, Rimbaud, Verlaine le font pencher côté mots. Les orchestres symphoniques qu’il a dirigé, le groupe Zoo qui l’a accompagné, les mélodies tubesques, en font un musicien pointu. Côté chanteur il n’avait pas de coffre mais une voix, Ferré. Tchou, tchou !
Bizarre cet anarchiste, anticlérical, antimilitariste qui se fait naturalisé monégasque en 1953. Certes, il est né à Monaco et il n’y peut rien mais prendre la « nationalité » d’une principauté tellement à l’opposé de son propos, voilà qui questionne et interroge. En tout cas, comme Brel et comme Brassens, il fait partie du trio de tête des grands de la chanson française. Représentants d’une époque, celle des artisans qui composaient de la musique, qui écrivaient des textes, qui allaient au charbon sur une scène pour les défendre et les interpréter. Ils sont également les exemples cités ad vomitum d’une génération en voie de disparition, celle des « c’était mieux avant ».
Bref !
Cette compilation parue en 2003 à l’occasion de l’anniversaire des 10 ans de la disparition du Léo, regroupe nos meilleurs représentants de la chanson française qui se font les dents sur le répertoire du vieux lion disparu. Ses mots acérés, son propos impitoyable, ses musiques encore modernes sont miel pour ces nouvelles générations de chanteurs devenant alors passeurs, témoins, traits d’union avec leurs versions persos.
Léo Ferré
Bashung s’en tire admirablement comme chaque fois dans ce type d’exercice casse-gueule avec une relecture très personnelle de Avec le temps. Cette fois-ci Zebda se distingue et rend une belle copie de Vingt ans. Dionysos, le groupe de Valence dans la Drôme, passe l’épreuve fastoche pour livrer une puissante version de Thank you Satan. Chanson qu’ils intégreront à leur répertoire live et qui deviendra un sommet de leurs spectacles avec un Mathias Malzieu déchaîné. Ceci dit, Mathias, sur scène est toujours déchaîné. Bernard Lavilliers avait déjà repris de belle manière Léo Ferré et Aragon avec une version titanesque de Est-ce ainsi que hommes vivent ? Version devenue l’égale de l’originale. Nanard s’attaque ici à La mémoire et la mer est ça lui va comme un gant. Jacques Higelin fait sienne de Jolie môme et en livre une version légère, printanière et sensuelle. A croire qu’il en est l’auteur. Katerine pas encore Philippe, nous sommes en 2003, s’approprie de belle façon L’été 68 avec nonchalance de cette voix à la limite de la justesse de monsieur tout le monde. Brigitte Fontaine arabise Âme te souvient-il et l’interprète avec son âme. Eiffel fait du Romain Humeau dans Le Conditionnel de variétés et Miossec reste très chanson française avec Ô triste, triste était mon âme. Tue-Loup, le groupe folk de la campagne sarthoise, livre une version bien rock de La solitude crachant les mots sur des rythmes jazz lézardés de riffs de guitare saturée et de piano martelé. Ai-je oublié quelqu’un ? Si oui c’est que sa version est entrée d’un côté pour sortir de l’autre sans faire de dégâts.
Ah si ! Noir Désir !
C’est particulier. Cantat, grand admirateur de l’anarchiste, voulait un texte inédit. La descendance de Ferré lui confia un poème écrit en 1968, Des armes. Le groupe en fit une version très Noir Désir qui fit partie de la track list de l’album Des Visages des Figures paru en 2001. C’est la seule chanson déjà publiée de cette compilation. Là encore, Bertrand Cantat et son groupe donne la preuve qu’ils sont le plus grand groupe de rock français.
Donc une bonne compile. Elle s’écoute agréablement de bout en bout et donne envie d’aller écouter ou réécouter Léo Ferré et ses versions originales.
La semaine prochaine, Brassens.
J’aime beaucoup le personnage et surtout ses textes. Le seul hic pour moi c’est cette grandiloquence (forcée?) qui nuit à certaines de ses chansons. reste que c’est quand même « Extra »!