À la guerre comme à la guerre
Je l’avoue, je n’ai jamais aimé « Le soldat Ryan », trop militariste à mon goût, malgré les atouts claironnés par les défenseurs du film : comme Hawks (refrain connu), Spielberg plaçait ici sa caméra à hauteur d’homme. Certes, celle-ci restait parmi les soldats, ceux qui devaient à tout prix sauver la vie de Ryan, mais l’on sentait chez Spielberg un certain plaisir à filmer les combats, à montrer certes le doute des combattants, mais à dire qu’au final les sacrifices étaient mérités puisqu’ils permettaient de battre l’ennemi nazi. Certes, dans une guerre idéologique, on ne peut pas lutter et se permettre de se déclarer antimilitariste.
Celle mon colon que je préfère
Il en va tout autrement avec celle de 14, la Grande Guerre, celle mon colon que je préfère parce que tous les films qui ont traité du premier conflit mondial, et ils sont légion, sont quasiment tous antimilitaristes. Quelques titres ? Le « J’accuse » d’Abel Gance qui, dès 1918, dénonce cette guerre. Et que dire des « Sentiers de la gloire » de Kubrick, des « Hommes contre » de Francesco Rosi, de « Pour l’exemple » de Losey ou du début de « The Big Red One » de Fuller, dans lequel un Américain tue un soldat allemand, le 11 novembre 1918, à quelques minutes de l’annonce de l’armistice ? Tous condamnent non seulement la guerre elle-même mais aussi l’incompétence des gradés — on parle alors d’impéritie, ce qui sonne mieux —, les fusillés pour l’exemple et la boucherie que fut 14-18. Avec « Capitaine Conan », Tavernier montre même que, dans certains pays de l’est, la guerre s’est poursuivie jusqu’en 1919.
Longs plans séquences
« 1917 » de Sam Mendes va dans le même sens. Une guerre, c’est le merdier (Coppola le dira aussi avec brio grâce à « Apocalypse Now » et « Le merdier » sera le titre français d’un film de Ted Post sur la guerre du Vietnam), un chat n’y retrouverait pas ses petits alors pensez-des hommes, perdus dans la fumée du champ de bataille… et qui se retrouvent, comme dans « Le dictateur » de Chaplin, à marcher ensemble avec les troupes ennemies. Mendes fait un pari fou : placer sa caméra à côté des hommes et ne plus les lâcher. On a lu ici ou là que le film n’était qu’un long plan séquence. Ce n’est pas tout à fait vrai : on dénombre au moins deux passages au noir et une coupe lorsque le héros tombe à l’eau. Mais peu importe : « 1917 », c’est deux heures passées au plus près des soldats anglais. On court avec eux dans les tranchées, on patauge dans le no man’s land, on essuie les tirs ennemis, on assiste en direct au crash d’un avion, on se cache, on tombe dans l’eau, on ne sait plus où l’on est, on craint les ombres… Bref, on est au centre de la guerre et on n’a qu’une envie : en sortir, en même temps que les deux héros.
Comment qu’ils ont fait ?
Chemin faisant, on se demande comment tout cela est réalisé. On ne voit aucun rail de travelling tapissant le sol de la tranchée et l’image ne bouge pas comme si la caméra était portée sur l’épaule. La fluidité des mouvements fait penser à un bras articulé, voire un drone. On se dit aussi qu’il a dû falloir des heures et des heures de répétition avant de tourner car il ne s’agit pas de se louper à quelques minutes de la fin de la (très longue) prise. Tout serait à recommencer du début. Quand on y réfléchit, « 1917 » est un réel tour de force en termes de mise en scène, comme l’était sans doute « Victoria » (2015) de l’Allemand Sebastian Schipper, tourné en une seule prise mais qui comprenait sa part d’improvisation. Ici, c’est une évidence, tout est calculé, rien n’est improvisé. Tout cela serait bien joli et seulement joli si la prouesse n’était que technique. Mais elle sert absolument le propos, nous rapproche des soldats et nous fait admettre avec eux l’absurdité de la guerre.
1917, putain de guerre
L’argument de départ est lui-même pacifiste. Il ne s’agit pas ici de lancer une attaque victorieuse mais, au contraire, de la stopper. Il ne faut surtout pas que les hommes montent à l’assaut. L’assaut, justement. C’est l’un des moments forts du film, lorsque le héros, la caméra, le spectateur embarqué avec elle se retrouvent en plein cœur d’un assaut.
Quelle puissance prend alors la dénonciation de l’inutilité de tout cela. Les uniformes ont beau être ceux de 14, ce sont toutes les guerres qui sont visées dans « 1917 ». Jacques Tardi a sorti, il y a quelque temps, un bel album dessiné sur la guerre de 14, justement intitulé « Putain de guerre ». C’est exactement les mots qui nous viennent à l’esprit à la vision de « 1917 », d’autant plus que, contrairement aux protagonistes, le spectateur sait que ces pauvres gars en ont encore pour plus d’un an et demi (le film démarre en avril 1917).
On ne ressent jamais la haine, dans le film, pas même envers les soldats ennemis croisés ici ou là. Ajoutons la performance exceptionnelle de George MacKay et Dean-Charles Chapman, les deux soldats britanniques à qui est confiée la mission de traverser les lignes allemandes pour rejoindre les troupes qui sont de l’autre côté. Ils sont tous deux formidables.