Quand la planète vibrait pour une cause humanitaire
Freddie Mercury à l’honneur dans le film « Bohémian Rhapsody » remet Queen au goût du jour. Il paraît que la vente d’albums s’envole alors que le dernier, « Made in Heaven » remonte à 1995, quatre ans après la mort du chanteur, et que la tentative de recréation du groupe avec Paul Rodgers n’a jamais vraiment convaincu. En 2012, le groupe s’est reformé une nouvelle fois autour d’Adam Lambert mais c’est réellement le film qui renvoie dans la stratosphère les ventes et remet Queen en tête de gondole. Si si, il avait une tête de gondole, le Freddie.
Bohémian Rhapsody
Forcément, l’actualité nous le prouve, on ne peut vraiment pas mettre tout le monde d’accord. Ainsi, c’est inévitable, certains pensent que Queen couine quand d’autres adorent le groupe britannique. Et là, vous allez voir combien je surfe sur l’actualité en évoquant en deux phrases à la fois les gilets jaunes et « Bohemian Rhapsody ». Le film que Bryan Singer et Dexter Fletcher (qui le remplace, vu les accusations de harcèlement sexuel que trimballe le premier) consacrent à Freddie Mercury et Queen bat en ce moment des records d’audience.
Mangez biopic
Un des courants que traverse fréquemment le cinéma international est le biopic. Ces derniers temps, on a quand même eu droit en long, en large et en travers aux vies retracées, toutes tendances confondues, de Truman Capote, Pablo Neruda, Louis-Ferdinand Céline, Abraham Lincoln, Nicolas Sarkozy, Benito Mussolini, Winston Churchill, George VI, Elizabeth II, Grace de Monaco et, côté showbiz, Ray Charles, Johnny Cash, Édith Piaf, Serge Gainsbourg, Claude François, Dalida, Barbara, Django Reinhardt, Chet Baker, Miles Davis, Nina Simone, Bessie Smith, John Lennon, James Brown et, tenez-vous bien, on annonce pour l’année 2019 « Rocketman », dans lequel Taron Egerton incarnera Elton John, « The Dirt » (sur Mötley Crüe), « Mapplethorpe » (sur le photographe du même nom), « Tolkien » (où Nicholas Hoult sera l’auteur du « Seigneur des anneaux »), « Little Dragon » (sur Bruce Lee) et même, et je vous jure que c’est pas une connerie, « Bubbles », un film sur le chimpanzé de Michael Jackson. Ça promet.
Revenons à « Bohemian Rhapsody ». J’avoue qu’au début je n’y croyais pas trop au fait que le tout fin et gringalet Rami Malek, découvert dans la série « Mr Robot », prête sa stature à Freddie Mercury que je m’imaginais un peu plus bodybuildé. J’avais tort, visiblement, et la vision du film m’a finalement conquis. Certes, je comprends les doutes émis par certains, dont Hugo Cassavetti qui, dans Télérama, détaille toutes les semi-vérités dont est émaillé « Bohemian Rhapsody » et, surtout, tous les excès typiques des groupes rock qui nous sont épargnés. « Un doigt de provoc dans un océan de consensualité », résume Cassavetti et on ne peut que lui donner raison.
Il n’empêche, il n’empêche… que le film est séduisant à bien des égards, dont les séquences musicales ne sont pas les moindres. C’est vrai, on y a droit à chaque fois (je pense au film d’Oliver Stone sur les Doors, quand on les voit travailler des morceaux qui sont dans toutes les oreilles) mais ces séquences où un air connu naît progressivement ravissent les spectateurs et c’est normal. Même les morceaux les plus bourrins, style « We Will Rock You », nous mettent en émoi émoi émoi dès qu’on reconnaît l’intro.
Wembley
Quant au concert de Wembley, il faut admettre que c’est un très grand moment du film qui, cœurs endurcis s’abstenir, amène une réelle émotion qui vous fait pointer la larmichette à l’œil. Pourquoi ? Parce qu’on se dit que cette époque somme toute pas si lointaine du Live Aid (nous sommes en 1985) a pris le parti de la générosité pour le peuple éthiopien qui crevait (et crève toujours) de faim. Et qu’alors que la mondialisation n’existait pas encore, ce concert mythique fut retransmis en direct dans le monde entier.
Je me revois, fringant jeune homme, le regardant sur un écran de TV noir et blanc (je n’avais pas les moyens de m’acheter la couleur, qu’est-ce que vous croyez ?) et vibrant à l’unisson avec je ne sais combien de milliards de spectateurs pour une cause commune (Wikipédia annonce 1,5 milliard de spectateurs dans cent pays). En revanche, l’article ne dit pas quelle somme a été versée à l’Éthiopie pour qu’elle se mette quelques Big Macs dans le ventre. Sans doute que l’événement a moins servi la survie des Éthiopiens que la grandeur du rock mais on voulait y croire. On est naïf, quand on est jeune mais, on a beau dire, et là c’est le vieux con que je suis devenu qui vous parle, c’était le bon temps quand, de Woodstock à Wembley, on avait l’impression de vivre ensemble la musique au cours d’événements qui ont marqué leur époque.
Rami Malek Mercury
Quant à Rami Malek, il est somme toute époustouflant. Et les autres acteurs qui incarnent le reste du groupe sont tout aussi ressemblants. Bien sûr, Mercury a sans doute copié le déhanché de Jagger de même que Cassavetti, toujours lui, traite Queen comme « une bande d’opportunistes tentant de coller au train collectif de Led Zeppelin (heavy metal), Bowie (glam) et Yes (progressif) ». Même les plus radicaux des amateurs de rock ne peuvent qu’admettre que le Freddie avait une sacrée voix. Et que les chansons qu’il a écrites — merci les sous-titres — sont loin d’être stupides et, au contraire, plutôt poignantes.
Relisez sur Internet les lyrics de celle qui donne son titre au film (« No escape from reality/Open your eyes/Look up to the skies and see/I’m just a poor boy, I need no sympathy ») ou de The Show Must Go On (« Empty spaces, what are we living for?/Abandoned places, I guess we know the score/On and on, does anybody know what we are looking for?/Another hero, another mindless crime/Behind the curtain, in the pantomime/Hold the line, does anybody want to take it anymore? ») et vous m’en direz des nouvelles.
On pensera ce qu’on veut du groupe, « Bohemian Rhapsody » tient la route. Et nous donne envie, en sortant de la salle, d’écouter du Queen. Sacrilège, va s’écrier Globrocker, mais c’est ainsi.