J’ai acheté ce bouquin parce que c’est Bowie. Une nouvelle pièce dans ma collection. Je n’ai pas vraiment lu le résumé en quatrième de couverture, sinon en diagonale, la tête ailleurs. C’est pourquoi je pensais attaquer une énième bio consacrée à la star.
Et ce livre est passionnant. Je l’ai lu d’une traite en 4/5 heures.L’auteur, Cédric Moreau, est professeur de marketing et ça s’arrêtera là concernant le prof car je n’ai rien trouvé sur Internet le concernant. Il y a foule de Moreau sur Gogol : un prof de karaté, un chauffeur de bus, un père de famille…
Donc passons au bouquin directement.
La fabrique d’un mythe
Cédric Moreau s’amuse à disséquer le parcours de Bowie à travers le prisme du marketing. Comme l’explique le résumé en quatrième de couverture, lu attentivement cette fois-ci, à l’origine du bouquin, la sortie de The Next Day en 2013. Bien entendu un cas d’école. Absent depuis 10 ans, annoncé comme mourant, David Bowie sort son album à la surprise générale. Sans annonce, sans pub, sans buzz, sans interview, sans apparition de l’artiste (même le patron de Sony n’est pas dans le secret et ne le saura qu’au dernier moment). Produit par son complice Tony Visconti, enregistré avec ses musiciens, tous doivent signer une clause de confidentialité leur interdisant d’en parler à quiconque
« Je devais mentir sciemment à mon entourage… Je n’ai pu me confier qu’à mon manager et juriste, par obligation professionnelle, at à mon chien qui ne pouvait pas faire grand chose pour moi »
Earl Slick, guitariste
Yaourts natures
Donc ce livre parle de marketing événementiel, marketing expérientiel, marketing participatif, marketing viral, co-branding, storytelling… Un vrai petit manuel du parfait castor junior de la com.
Tout au long du livre, Moreau applique les règles du marketing au parcours atypique de l’artiste qui n’a cessé d’aller à l’encontre des bonnes manières en matière de communication. Pour ceux qui ne connaissent pas Bowie, illustrons le propos avec les yaourts :
- le suicide de Ziggy : arrêt de la production d’un yaourt qui se vend par millions
- les changements de look : remplacement de l’emballage d’un pot de yaourt populaire pour que plus personne ne le trouve dans les rayons
- l’exploration de nouveaux styles musicaux : tests de nouveaux parfums dans les yaourts genre Chanel N°5, huile de vidange, fragrance d’escargot
- Tin Machine serait l’équivalent de mettre dans le rayon yaourt pour les enfants, un dessert au goût d’épinard
- Let’s Dance, concocter une recette de yaourt qui plaira à tout le monde. Exemple, yaourt à la Marie Jeanne
On est quand même loin des stratégies marketing réfléchies et analysées. Heureusement car comme les chaînes d’info ont tué l’info, le marketing a tué le produit. On l’a donc échappé belle.
Grand contrôle
Ce qui me gêne dans ce livre c’est le manque de recul parfois de l’auteur. On sent qu’il est un admirateur de Bowie (à quel point ?) et un bon professeur qui connaît son sujet. Mais il aurait du se contenter d’appliquer ses théories, ses règles, sans porter de jugements ni inventer des histoires.
Qualifier Young Americans d’album superficiel et puis quoi encore ? Ça ne se fait pas Monsieur ! C’est un album des plus importants dans sa carrière. Changement de look, changement de style musical. Bowie invente avec brio la plastic soul et pond des petits chef d’œuvres. Et pourtant, Ziggy était sur orbite, Jones a déclenché l’auto-destruction.
Autre petit reproche, Cédric Moreau fait ressortir de ce livre la maîtrise, le contrôle de Bowie. Comme si l’artiste avait tout prévu, calculé. Comme si tout était planifié, réfléchis. Je ne pense pas. Bowie était un vrai artiste. Il ne se souciait pas de savoir si ses nouvelles créations (chansons, pochettes, look, coiffure) allaient marcher, il traçait son chemin selon ses envies, ses besoins. Qui m’aime me suive et après moi l’déluge. La preuve quand il a voulu un album commercial, avec des hits, du succès, il l’a fait et l’a réussi. Mais là encore, c’était le moment de ses envies de ses besoins.
Affirmer que sa musique aura connu une baisse de qualité après Let’s Dance. Oui la rock star à eu une période de creux après ce succès mondial. Il a fait un peu n’importe quoi côté album. D’ailleurs, comme il le dit dans une interview, il n’était pas concerné, il a laissé faire mais ses disques, à son grand étonnement, se sont bien vendus. Puis il y eu l’épisode Tin Machine, sacrément casse-gueule. Et alors. C’est bien la preuve que Bowie fait ce qu’il veut quand il le veut sans se soucier du succès. Il reprendra des couleurs, retrouvera le Bowie inspiré et créatif avec les fantastiques Outside, Earthling, Heathen , The Next Day puis Blackstar.
Et les camemberts ?
Donc, les calculs, l’équipe marketing autour de lui, je n’y crois pas un seul instant. Le titre également, « la fabrique d’un mythe », il n’y a rien de fabriqué dans l’histoire de Bowie, tout est naturel : le talent, les idées, la liberté.
On l’a dit contrôleur, manipulateur… Foutaises ! Il n’était que libre comme ses créations, qui ont tant contribué à façonner les esprits.
Jerôme Soligny – 2016
De plus, le livre manque cruellement de diagramme, de camembert, de boîte à moustaches, de projection polaire, de statistiques, naannn, j’déconne !
Mais tout ça n’est qu’anecdote. Au risque de me répéter, ce bouquin est une joie de lire à chaque page et montre la carrière de David Bowie sous un autre jour. L’auteur et moi, nous rejoignons sur un point. David Jones est mort mais David Bowie est toujours présent à travers son œuvre (au sens large) et comme je l’écris ici, ce qui nous manque c’est ce qu’il aurait pu faire s’il était toujours vivant.
Cédric Moreau – David Bowie, la fabrique d’un mythe – Editions Balland
Puisque la fabrique d’un mythe a soulevé en moi de nombreuses questions, j’ai soumis Cédric Moreau à l’Interro Écrite.