Taxi, z’êtes libre ?
« Un témoin dans la ville » étant repassé récemment à la télé, je me suis fait un plaisir de le revoir. Voilà donc un film, datant de 1959, dont le générique peut nous induire en erreur. Le scénario est signé par Gérard Oury, futur réalisateur de « La grande vadrouille », de « La folie des grandeurs » et du « Rabbi Jacob », et la mise en scène est d’Edouard Molinaro, à qui l’on devra par la suite « Oscar » et « Hibernatus ». Pourtant ici, dans « Un témoin dans la ville », pas l’ombre de Louis de Funès ou de comédie. Le témoin du titre est un brave chauffeur de taxi qui, appelé en pleine nuit pour une course dans un coin isolé, voit sortir de la maison où le client est censé l’attendre un type qui part rapidement. Un meurtre vient d’être commis et c’est l’assassin que le taxi a surpris. À partir de là, les deux vont jouer au chat et à la souris.
Polar en noir et blanc rythmé par une musique jazz du meilleur aloi — jouée, entre autres, par Barney Wilen et Kenny Clarke —, le film s’ouvre sur une femme que l’on balance d’un train, se poursuit par un autre meurtre qui résonne comme un châtiment, et se continue par une traque dans la nuit parisienne. Autant dire, rien que du bon. Le film, comme le veut l’époque où il est tourné, est truffé de seconds rôles qui l’enrichissent à chacune de leurs apparitions : c’est Bill Kearns, l’Américain type des films français, qui demande au taxi s’il est communiste parce que celui-ci, ayant fini son service et pressé de retrouver sa bien-aimée, lui a dit « Go Home ». C’est Robert Dalban, le copain du taxi, Gérard Darrieu, celui de l’assassin, c’est Sacha Briquet qui sort bourré d’une boîte de strip-tease et Guy Piérauld, le portier, qui essaie de se débarrasser de lui avec la voix de Bugs Bunny (Piérauld était le grand doubleur des dessins animés). C’est Micheline Luccioni en chauffeuse de taxi qui n’a pas froid aux yeux, Dora Doll en prostituée, Daniel Ceccaldi qui surjoue un accent italien ou Alain Nobis qui a préféré emboutir une voiture plutôt que d’écraser un chien. Enfin, pour ceux qui ont l’œil, c’est encore Jean Ferrat qui, alors figurant, entre dans un wagon de métro.
Parmi les autres seconds rôles du film, il faudrait encore citer Bob Gastel, catcheur des années cinquante qui veut montrer à Micheline Luccioni comment il faut se défendre et qui se retrouve étalé par terre. Son nom, dans le film, c’est Bob la Tenaille. Et il ne faut pas le confondre avec l’acteur pied-noir Robert Castel (ce que beaucoup font sur Internet).
Bob la Tenaille
Gastel a dû se battre sur les rings contre Lino Ventura, avant qu’il débute sa carrière d’acteur. Ah, parce que je ne vous l’ai pas encore dit, mais l’inconnu qui sort de la maison, c’est lui, Lino Ventura.
Mari cocu dont la femme a été tuée par son amant (celle qui est éjectée du train au début), il se venge puis recherche le témoin gênant. Lino prouve ici (mais on le savait) combien il est un grand acteur. Inquiétant pendant tout le film, il adoucit son visage lorsqu’il est avec son ami Gérard Darrieu, un camionneur sympathique, et montre combien il pourrait être un chic type si le sort ne s’était pas acharné sur lui.
« Un témoin dans la ville », c’est un peu le « Gasoil » des taxis. Dans « Gasoil », un chauffeur de camions joué par Jean Gabin a des problèmes avec une bande de gangsters et est aidé par ses potes camionneurs pour se débarrasser des gêneurs. Ici, le héros, on l’a vu, est taxi (il est joué par Franco Fabrizzi) et ce sont ses copains taxis qui vont se mettre en chasse pour coincer l’assassin.
Nous sommes en 1959 et des films à la même atmosphère (« Ascenseur pour l’échafaud » date de 1958) ont obtenu un bon succès. Les Français se mettent à tourner des polars en copiant un courant américain né en 1948 avec « La cité sans voiles » de Jules Dassin, dans lequel la ville tient le rôle principal. Une ville filmée de nuit sur fond de jazz. Et ça leur réussit.
Fallait ou fallait pas coucher ?
Il existe un détail, dans « Un témoin dans la ville », qui me turlupine. Franco Fabrizzi drague une collègue de travail qui est standardiste (Sandra Milo). Elle se refuse à lui tout au long du film, jusqu’au moment où elle vient le voir chez lui. Une ellipse et l’on comprend qu’ils ont fait l’amour. Ce qui n’empêchera pas le pauvre mec d’avoir des malheurs un peu plus tard. Bon d’accord. Mais prenons « Dead Zone » (1983) de David Cronenberg, adapté du roman de Stephen King. Christopher Walken est amoureux d’une fille (Brooke Adams) qu’il raccompagne chez elle. Elle lui propose de rester, il refuse, repart, a un accident et… reste cinq ans dans le coma. S’il était resté, certes le scénario tombait à l’eau mais, au moins, il aurait passé une bonne nuit sans accident de voiture. Et sans tous les malheurs qui vont pointer leur nez dans la foulée. La moralité de l’histoire, c’est qu’on couche (Franco Fabrizzi et Sandra Milo) ou pas (Chris Walken et Brooke Adams), les emmerdes finissent toujours par arriver. Alors, autant se faire plaisir, non ?
Edouard, Lino et la 403, le tiercé gagnant du polar noir à la française!