Ce film, je l’ai vu gamin et j’en ai gardé un excellent souvenir. Depuis, en regardant de plus près son thème et son générique, j’ai compris pourquoi. Il y avait d’abord l’histoire du héros grec. Nous étions à une époque, j’avais une dizaine d’années la première fois où j’ai vu ce film à la télé, où j’adorais tout ce qui touchait à l’Antiquité, dévorant « L’Iliade » et « L’Odyssée ».
MFAM #6 – ULYSSE – Mario Camerini
Pénélope seulette
Aujourd’hui, le fait que Ulysse soit incarné par Kirk Douglas et que la réalisation soit due à Mario Camerini, excellent cinéaste italien dont j’aime beaucoup aussi « Kali Yug », sorte de séance de rattrapage du « Tigre du Bengale » de Fritz Lang, me font comprendre pourquoi j’ai aimé dès le début cette version filmée de « L’Odyssée ». Ulysse, c’était le gars pas compliqué, toujours prêt à rendre service aux copains, histoire de se foutre sur la gueule avec eux et de boire des coups. Là, en l’occurrence, son pote Ménélas apprend qu’il est cocu et il rameute toute une petite troupe pour aller contrer ceux qui s’opposent à lui. Cette sorte d’élection ne se fait pas en deux tours mais en 10 ans. Donc, ça fait 10 ans que l’Ulysse est loin de chez lui et de sa femme Pénélope quand il programme son retour. Vous me suivez. Parce qu’allez savoir ce qui se passe, les trajets directs n’existent plus, il opte genre pour un Ouigo maritime avec quantité d’escales, s’amuse pendant les unes, se paume un peu avec les autres, rencontre bien sûr quelques jolies nanas pour occuper son temps libre, se marave avec un cyclope, écoute le chant des sirènes en prenant bien soin de se faire attacher… Bref, un Club Méd qui dure lui aussi 10 ans, autant que la guerre de Troie.
Emploi fictif
Et sa Pénélope, pendant ce temps-là ? Que croyez-vous qu’elle fasse ? Son bonhomme est parti la fleur à la hache pour une petite excursion guerrière et ça lui a pris dix ans. Puis il est revenu et ça lui a pris encore dix ans. Alors, elle, bien entendu, comme c’est une jolie femme, l’oeil un peu triste, taciturne mais malgré tout courtisée par un tas de mecs qui lui tournent autour, elle, elle tricote. Des pulls pour son gamin Télémaque, des chaussettes pour les nuits froides et puis surtout une grande tapisserie. Maligne comme une tumeur, elle leur a dit, aux Prétendants, qu’elle en épouserait un (puisqu’avec tout ce temps, tout le monde pense qu’elle est veuve) lorsque sa tapisserie serait achevée. Elle coud donc la journée et découd la nuit. Un genre d’emploi fictif.
Mais bon, dans le film, Camerini s’intéresse surtout à ce qui est spectaculaire : le cyclope, les sirènes, les Lotophages, Charybde et Scylla, Circé, les compagnons changés en pourceaux… Les affaires courantes, quoi !
C’était un temps où les effets spéciaux n’étaient pas aux mains de geeks géniaux mais d’artisans qui l’étaient tout autant, géniaux. Ici, ils sont le fruit d’un procédé créé par le grand chef op ‘ Eugen Schüfftan, à qui l’on doit les images de « Drôle de drame », « Quai des brumes », de quelques films américains d’Edgar G. Ulmer et, après son retour en France, de sujets tournés par Georges Franju et Jean-Pierre Mocky. Autant dire que ça passe très bien !
Reste aussi le casting : Kirk Douglas égal à lui-même et Silvana Mangano dans le double rôle de Péné et Circé (comme cela, personne ne peut reprocher à Kirk/Ulysse son infidélité). Silvana, belle à couper le souffle en Pénélope seulette. A croire qu’Homère avait préfiguré avec son héroïne (et pas question de l’entendre dire, comme Lou Reed, « and I guess I just don’t know ») tout à la fois la jeune pilote de la série animée Les fous du volant, la fameuse Pénélope Joli-Coeur, et la journaliste des Nuls, la bien nommée Pénélope Solette. Pardon, vous pensez à une autre femme du même nom ? Heu, non, je ne vois pas. Je donne ma langue aux tchats.