Moi Tarzan, toi… sexy Jane
En y pensant, on a l’impression d’avoir côtoyé les dinosaures quand on raconte qu’à notre époque lointaine, les cinéphiles n’avaient pour seuls moyens de voir un film classique que les quelques chaînes de télévision hertzienne ou les ressorties en salles. Puis, est arrivé le magnétoscope et les VHS se sont mises à faire le bonheur de tous ceux qui désiraient connaître l’histoire du cinéma autrement que dans les bouquins et revues.
Tout ça pour en arriver au fait qu’un jour, dans une bibliothèque récemment transformée en caverne d’Ali-Baba filmesque, je découvris la cassette de « Tarzan et sa compagne ». Petit récapitulatif : après moult aventures muettes, le petit mastard de la jungle avait abordé le cinéma parlant en 1932 sous les traits du nageur olympique Johnny Weissmuller, tandis que sa Jane possédait le joli minois de Maureen O’Sullivan, future maman de l’actrice Mia Farrow, qui eut elle-même avec son ex Woody Allen le journaliste Ronan Farrow. Lequel se fit connaître grâce à son enquête sur Harvey Weinstein.
Bon, revenons en 1934 et à « Tarzan et sa compagne », deuxième volet parlant produit, comme « Tarzan l’homme-singe », par la puissante Metro Goldwyn Mayer. Réalisateur du premier film, W.S. Van Dyke lâche l’affaire au profit du décorateur Cedric Gibbons qui signe le film, avec de sérieux coups de main de Jack Conway et James McKay. En fait, d’après ce qu’on peut lire ici ou là, Gibbons commence effectivement le tournage à la tête de la première équipe mais, pour des raisons mal éclaircies, lui et une partie des acteurs (dont Rod LaRoque) sont débarqués et remplacés. La Roque par Paul Cavanagh et Gibbons par Jack Conway. Quant à McKay, il va s’occuper des séquences animales.
« Tarzan et sa compagne » va illustrer textuellement la grande question que tout un chacun se posait à l’issue du premier film sans oser se l’avouer : la jolie Jane Parker peut-elle vraiment avoir des rapports sexuels avec son grand singe d’homme ? Et si oui, ce dernier pousse-t-il son fameux cri jusque dans leurs draps de lianes ?
À sa manière, la MGM va répondre à ces interrogations. Chargé d’établir un code de censure, Will Hays va, en 1934, commencer à passer la serpillière. Entre autres choses, le Code Hays précise déjà, que « la sainteté de l’institution du mariage et du foyer ne serait jamais perdue de vue, les scènes d’amour évitées, la nudité totale jamais autorisée, la séduction et le viol jamais évoqués autrement que par des indications très succinctes », etc. Or, qu’advient-il dans « Tarzan et sa compagne » ? La nudité y est montrée, la séduction est omniprésente et les allusions sexuelles sont légion. Quant au mariage et à la sainteté de son institution…Mais « Tarzan » fait partie de ces films appelés Pré-Code, dans lesquels les spectateurs adultes n’étaient pas ravalés au rang de teenagers comme c’est devenu la règle plus tard. Des films qui pouvaient parler de sujets adultes. Vous voulez quelques exemples ?
Jane par cœur
On sait qu’à la suite du premier film, Jane Parker (dans le roman, elle se nomme Jane Porter) vit à présent auprès de Tarzan dans la jungle. Membre de la première expédition, dirigée par le père de Jane, Harry Holt (Neil Hamilton) ne songe qu’à retrouver la belle. Au début du film, dans un petit port d’Afrique, il guette l’arrivée en bateau de son ami Martin (Paul Cavanagh). Lequel surgit d’une cabine, couvert de rouge à lèvres : on comprend rapidement qu’il appartient à l’épouse (française !) d’un autre voyageur.
Sitôt arrivé dans la maison de Harry, Martin entreprend de faire sa toilette. Tout en conversant avec le propriétaire des lieux, il se dévêt de sa chemise, ôte tricot et pantalon pour se retrouver en caleçon. On se dit que la séquence va être coupée là quand arrivent les porteurs qui déposent devant la caméra les bagages de Martin. Ce dernier baisse alors la seule pièce de tissu qu’il lui reste (son corps est caché par une malle) puis montre ses fesses à la caméra le temps d’entrer dans le baquet. C’est évident, tout le film va après cela tourner autour du corps et de l’attirance sexuelle qu’il produit. Mais attendons la suite.
Harry et Martin montent une expédition pour partir à la recherche du cimetière des éléphants et en rapporter un maximum d’ivoire. Après quelques péripéties anodines (une tribu sauvage, des gorilles), Tarzan arrive enfin, en yodlant. Harry est visiblement content de retrouver Jane et Martin la découvre, émerveillé. Il faut dire qu’il y a de quoi !
La ravissante Maureen O’Sullivan est vraiment très court vêtue, d’un petit soutien-gorge et d’un pagne en daim retourné plus échancrés que le skyline de New-York. C’est pour cette raison aussi qu’il faut profiter de « Tarzan et sa compagne ». Les producteurs écouteront mieux, dans les films suivants, les ligues de vertu et les censeurs du Code Hays. Ils affubleront Madame Tarzan d’une culotte beaucoup plus enveloppante. Dommage !
Tarzan aime Jane
Voilà donc Harry et Martin qui n’ont d’yeux que pour leur déesse de la jungle et on les comprend. Ils se mettent à évoquer la vie en ville et, pour bien faire, exhibent devant l’exilée quelques robes seyantes qu’elle rêve d’essayer. Ce qui est tôt fait, quasiment sous les yeux des deux affamés. La façon qu’a Jane d’enfiler ses bas devant eux leur ouvre des horizons plus lointains que le film avec Tom Cruise et Nicole Kidman.
Alors que Martin explique à Jane que « Londres cache les jambes », cette dernière admire la robe qui « suggère sans montrer ». Finalement habillée (action vue en ombre chinoise à travers la toile d’une tente), Jane est redevenue femme de notre monde.
Oui, vous avez bien lu, des ombres chinoises qui découpent, sur la toile de tente, la silhouette nue de Jane. Mais que font les censeurs ?
Après ces scènes suggestives puis très érotiques, Jane sort enfin habillée. Elle est magnifique et le pauvre Martin n’y peut rien : il craque !
Tarzan se pointe sur ces entrefaites. Il regarde, mi-étonné mi-inquiet, cette femme qu’il ne reconnaît plus. Il touche le tissu qui l’entoure, puis caresse le galbe de son mollet. « La soie a toujours eu ce côté provocant », s’excuse Jane devant ses amis civilisés. Tarzan renifle le cou de sa bien-aimée. « C’est du parfum ! » lui explique-t-elle. Voilà alors notre grand nigaud qui s’échauffe.
On rentre à la maison !
Dans son langage rudimentaire de singe-homme, Tarzan baragouine quelque chose qui ressemble, y compris dans la version originale, à un mot français : « Dodo ! » et désigne d’un coup de tête le haut des arbres. Jane refuse. Le seigneur de la jungle la prend alors dans ses bras en réitérant « Dodo ! »
La jeune femme fait comprendre à Harry et Martin combien elle est désolée de les quitter aussi abruptement et monte illico, sous les bras de son homme, dans la case nuptiale.
La scène se passe de commentaires. Séquence suivante : Tarzan se réveille. À ses côtés, Jane est couchée, apparemment nue sous une peau de bête qui lui remonte jusqu’au menton.
Ce n’est certes pas un lit mais voilà un couple qui se réveille et qui a visiblement passé la nuit ensemble. Jane traite son mec de « vilain garçon », puis de « flemmard » et celui-ci, en riant, lui sert un jus de fruit en guise de petit-déjeuner. Jane part alors dans un délire très féminin. « Tu t’es levé très tôt ou rentres-tu à peine du club ? Y a-t-il une autre femme ? » et son grand dadais rit. Et de lui refaire, en plus sexué, le coup du dialogue le plus célèbre de l’histoire du cinéma exotique : « Femme ! » (en la désignant), « Homme ! » (en pointant le doigt sur son torse musclé). Il est là, résumé en une phrase, l’idéal féminin : avoir pour soi un grand gaillard abruti qui ne pourra regarder voler aucun autre jupon. Normal, il n’en flotte pas l’ombre d’un à l’entour. En tout cas, le baiser qu’ils échangent ne trompe personne : ils ont passé la nuit à faire l’amour et sont prêts à recommencer.
Le plan suivant, Jane remet son pagne. Après quelques échauffements de liane en liane, comme l’heure du bain approche, Tarzan la balance dans la rivière et — oh ! c’est pas de chance — le vêtement de Jane reste accroché à une branche.
Ballet nautique
Elle se retrouve nue, Tarzan en calebard léopard, et tous deux virevoltent sous l’eau pendant cinq bonnes minutes — sept exactement -—, accompagnés par une caméra complice. Évidemment, pour cette séquence magique, Maureen O’Sullivan bénéficia de ce qu’on appelle un « body double » en la personne de Josephine McKim, nageuse tout aussi olympique que Johnny Weissmuller. Pourtant anthologique, la scène fut coupée dans la version présentée au public. Déjà que le costume de Jane paraissait « honteux » pour les ligues de vertu ! Ce passage magique, digne des ballets nautiques contemporains de Busby Berkeley, ne fit sa réapparition que dans une version restaurée, en 1990. En voici quelques délicieuses (et chaudes) images.
Et la question du cri de Tarzan pendant les nuits chaudes de l’Afrique souveraine, me direz-vous ? Le film n’y répond pas directement mais vu la propension que met l’homme singe à le pousser à tout bout de champ, il y a fort à parier qu’il se gargarise autant dans les bras de sa belle.
Tarzan aime Bo
Il faudra attendre quelques décennies avant qu’une aventure de Lord Greystoke affiche un tel potentiel érotique. Car, Dieu me tripote comme s’écriraient Austin Power et son père, l’éminent sir Nigel, mais les écervelés musclés vont se disputer le rôle du personnage créé par Edgar Rice Burroughs sans titiller aucune libido. De Lex Barker à Gordon Scott, de Jock Mahoney à Ron Ely, Cheetah glapit et les Tarzan, comme une caravane dans le désert, passent. C’est en fait une nouvelle Jane Parker qui va secouer la branche sur laquelle somnolait suspendu notre brave héros. Cette Jane, c’est Bo Derek. Elle va se déshabiller devant la caméra de son époux, John Derek, pour un nouveau « Tarzan the Ape Man » (« Tarzan l’homme singe ») en 1983. Pour mettre plus d’émoi encore dans l’esprit des orangs-outans que dans celui de son benêt musclé.
Car il faudra attendre la scène finale pour tout comprendre. Jane/Bo batifole avec Tarzan sous les yeux d’un grand singe. Petit à petit, la voilà nue et l’orang-outan n’a de cesse de l’attirer vers lui. Vive le triolisme zoophile !