La lucarne magique
On peut dire qu’à cette époque — j’étais encore au lycée —, je pouvais enfin regarder la télé. Mon père avait cédé et il était déjà loin le temps où j’avais 6 ans et, devant filer au lit dès 20h30, je me déshabillais lentement dans le couloir, qui donnait pile sur l’écran de TV, le plus lentement possible afin de profiter d’un maximum d’images.
Qui, c’est du moins celles dont je me souviens le plus tant elles m’ont foutu les miquettes à tout jamais, étaient celles de Belphégor. Le feuilleton, bien sûr (on disait pas encore série en ces temps lointains). Ce devait être la bande-annonce mais je revois ce masque qui me terrorisait encore plus quand il ouvrait les yeux. Mon cœur battait, j’enfilais lentement la manche de mon pyjama. Alors, arrivait le générique de ce Fantôme du Louvre, plus connu sous le nom de Belphégor, et j’entendais chaque semaine un coup de feu claquer, une alarme, et c’en était trop, j’allais me glisser dans mes draps en tremblotant.
Le bon temps du Ciné-Club
L’eau avait coulé sous les ponts et ailleurs et j’avais à présent 16 ans, dix de plus, vous imaginez, et j’étais donc en droit de pouvoir regarder le Ciné-Club.
Je garde un souvenir ému de cette émission de Claude-Jean Philippe, de son générique sur une musique entraînante qui s’avère, après recherche sur Internet, être signée Emile Waldteufel (un chewing-gum, Émile ?), né en 1837 et mort en 1915. Et le morceau se nomme « Amour et printemps ». C’est beau, la modernité, non ?
Sur ce rythme syncopé, un singe géant ouvrait le bal avec un petit salut de la main, suivi par une image de Harpo Marx (j’ai longtemps cru qu’il s’agissait de King Kong mais c’était un photogramme d’Un jour au cirque), de Chaplin, Gene Tierney, Orson Welles, François Truffaut, Pierre Brasseur, Mastroianni, Gabin, Marilyn… Bref, tous ceux qui allaient devenir les seuls (et nombreux) dieux de mon panthéon personnel, les divinités officielles s’étant fait la malle depuis belle lurette.
Psychose – Alfred Hitchcock
Bon, il est temps de reprendre du début parce que je sens que je vous perds. Vous voyez le tableau ? J’ai 16 ans, je suis seul dans l’obscurité du salon, il ne doit pas être loin de 23 heures ou minuit, le générique du Ciné-Club s’achève, Claude-Jean Philippe présente vite fait le programme, les lumières s’éteignent et se rallument sur… des lignes qui traversent l’écran, une musique qui vous vrille (déjà) les nerfs et le nom du réalisateur et le titre du film qui s’affichent à l’écran : Alfred Hitchcock’s Psycho.
Merde, j’en savais rien et j’allais avoir l’une des premières émotions de ma vie de jeune homme cinéphile. Soyons juste, un an avant, j’avais eu la révélation de ma passion naissante avec la vision coup sur coup de quatre films de John Ford, le plus grand parmi les grands. Et je ne vous parle même pas de ma première érection trois ou quatre ans avant devant Caroline chérie ou un de ces films à dentelles aux marquises dépoitraillées.
Non, du sérieux, quoi, soyez à ce que je raconte sinon je vous parle de Fantasia et des nombreux morceaux classiques qui l’enluminent et je sens que vous allez partir faire la sieste.
A la douche !
Bon, revenons à Psychose. La musique de Bernard Herrmann, le générique de Saul Bass, tout était idéal pour vous plonger d’entrée dans un état d’esprit adéquat à suivre cette histoire à rebondissements dans laquelle Hitch s’amuse à vous faire emprunter fausse piste sur fausse piste jusqu’à l’issue. Et le plus fort, après avoir savouré ce film sur grands ou petits écrans une bonne vingtaine de fois, c’est qu’on s’y laisse prendre à chaque fois. A chaque nouvelle vision, je me sens ficelé sur ma chaise et j’ai beau connaître les tenants et les aboutissants, j’ai envie encore et toujours de regarder Psychose, de découvrir un nouveau joyau dans la mise en scène richissime de sir Alfred.
J’ai grandi, bien sûr. J’ai appris à reconnaître les acteurs, j’ai vu le décor de la maison au cours d’un voyage à Universal Studio à Los Angeles, j’ai lu des tas de choses sur le film et son auteur. J’ai même retenu le nom de Marli Renfro, qui a prêté des parties de son corps à Janet Leigh pour la fameuse scène de la douche.
Classiques du genre
Devenues classiques, cette séquence mais aussi celle du détective Martin Balsam qui plonge dans les escaliers, celle de Vera Miles qui se réfugie sous l’escalier, celle de la mouche à laquelle le génial Anthony Perkins ne veut pas faire de mal, toutes continuent à travailler votre mémoire. Elles vous appartiennent désormais intimement et vous avez cela en commun avec tous ceux qui un jour ont vu Psychose, pratiquement le monde entier ou presque, vous les partagez avec eux, elles les ont marqués autant qu’à vous elles ont fait de l’effet.
Inutile de préciser que je restais ce soir-là, du haut de mes 16 ans, sans bouger sur mon canapé, tétanisé mais envoûté par ce que je voyais et entendais, absolument accroché comme on l’est à la dope et je n’étais pas prêt et ne le suis toujours pas à lâcher Alfred Hitchcock, carrières britannique et américaine confondues. Non, mais.
Pour en savoir plus sur Alfred Hitchcock, faites un p’tit tour ici.