POLYESTER de John Waters – 1981

Tu le sens, mon gros film ?

C’était une époque où il existait encore non seulement ce que l’on appelait des « cinémas de quartier » mais aussi des salles qui avaient des publics jeunes ou étudiants. On ne parlait encore ni de multiplexes ni de consommation outrancière de pop corn dans des contenants de plus en vastes. Nous étions à Lyon au début des années quatre-vingt et Le Cinématographe, cours Suchet, une salle unique baptisée familièrement « Le Cinémato », était de ceux-là : un cinéma à la clientèle jeune, conquise haut la main grâce à des nuits au cours desquelles on passait cinq films, grâce à des œuvres qu’on ne pouvait voir nulle part ailleurs.

Polyester de John Waters affiche

 Après Fassbinder, Duras, les Japonais ou le cinéma illustrant la folie, Le Cinémato avait décidé de consacrer, en cette rentrée 1981, un cycle à l’Amérique. Et proposait, parmi une longue lignée de films incontournables, une curiosité. Signé par John Waters et interprété par l’imposante Divine, « Polyester » avait la particularité d’être accompagné par des cartons dont devaient se munir les spectateurs. Chaque carton comportait une dizaine de pastilles numérotées car, grande nouveauté qui ne pouvait que plaire aux étudiants présents dans la salle, le film était projeté en Odorama.

MFAM #13 – Polyester – John Waters

Odorama

Odorama ? Il suffisait, nous disait-on, de gratter les pastilles au fur et à mesure que leur numéro apparaîtrait à l’écran. À vrai dire, personne n’était vraiment convaincu mais bon, on allait voir. Inutile de dire que la salle était comble. Un rêve pour n’importe quel exploitant ! Les lumières s’éteignirent et un vieux monsieur apparut à l’écran pour nous expliquer le système de l’Odorama. Il pointa du doigt le signe 1 qui apparaissait et nous encouragea à gratter la première pastille puis à approcher le carton de notre nez. En même temps, il nous montrait une rose. Miracle, ça marchait, la pastille avait une vague odeur de fleur et la salle explosa de rire. L’histoire pouvait démarrer dans la meilleure ambiance possible.

Polyester satrring Divine et Tab Hunter

À vrai dire, ce n’est pas vraiment du scénario dont je me souviens aujourd’hui, bien que je me rappelle m’être marré tout du long. Une pauvre mère de famille campée par le travesti Divine apprenait coup sur coup que son mari était un pornographe, son fils un fétichiste, sa fille une petite dévergondée, etc. Elle croisait un bellâtre ayant les traits de Tab Hunter et vivait avec lui une histoire d’amour aussi grotesque que celles racontées dans la plupart des navets hollywoodiens.

Sticky Fingers

C’était rigolo en soi mais la cerise sur le gâteau consistait bien sûr à gratter les pastilles chaque fois qu’on nous le demandait. Avec, à tout nouveau chiffre apparaissant au bas de l’écran, des cris d’horreur dans la salle. Par exemple : quelqu’un arrivait avec une pizza dans les mains, le numéro apparaissait, vous vous disiez ça va sentir la pizza mais, au moment précis où tout le monde était en train de grattouiller sa plaquette, le salaud à l’écran sortait de derrière son dos une vieille paire de pompes dans laquelle avaient dû transpirer plusieurs générations. Je vous le disais, hurlements garantis mais tout le monde, malgré tout, portait son carton aux narines pour humer le délicieux parfum chaussuresque. Dire que la salle était sens dessus dessous n’est qu’un doux euphémisme. Je vous assure que je ne l’ai pas inventé, des gens se roulaient par terre, tordus de rire et la salle obscure devenait l’objet d’une série d’explosions de gondolage jamais vues de mémoire de centenaire. Heureuse époque où une comédie décalée et carrément subversive trouvait son public.

Polyester de John Waters

À un moment, un des acteurs pénètre dans un cabinet et les spectateurs, unanimes, hurlent de désespoir mais se précipitent malgré tout sur la pastille à gratter. Ouf, John Waters nous a épargnés ça, l’odeur concernait un autre détail du décor. Et ainsi de suite jusqu’à la fin. Depuis une séance épique de La vie de Brian des Monty Python, dans une salle déchaînée de Montpellier, je n’avais jamais vu de public autant épuisé d’avoir tant ri.

Mais le plus drôle, c’est qu’on avait conseillé de gratter les pastilles avec un stylo. La plupart l’avaient fait avec les doigts, qui gardèrent pour le restant de la soirée quelques douces fragrances mêlées.

Polyester avec Divine de John Waters

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