C’était une époque où nombre de films sortaient en salles avec une interdiction : moins de 12 ans, moins de 16 ans, moins de 18 ans. Une époque où n’existaient ni VHS ni DVD et où l’idée même d’une copie numérique dépassait l’entendement. Une époque où, il faut bien l’admettre, n’étant pas d’une taille gigantesque et ayant peu de poils au menton, j’avais toutes les chances de me faire refouler à l’entrée des cinémas.
MFAM #8 – ORANGE MECANIQUE – Stanley Kubrick
Sens interdits
Je me souviens de ce temps où, avec mon père, j’avais essayé d’entrer dans la salle qui projetait « La planète des singes ». Le vrai, celui de Franklin Schaffner avec Charlton Heston. Interdit aux moins de 12 ans, qu’il était. J’en avais 11 et la caissière avait refusé de me laisser pénétrer dans la salle, malgré les promesses de mon paternel que je ne serais pas traumatisé à vie.
Un peu plus tard, c’est « L’exorciste » qu’il me fut interdit d’apprécier, alors que des copains de classe, âgés de quelques mois de plus et plus grands par la taille, se vantaient d’avoir pu assister — avec terreur — à une projection.
Il me faut citer enfin « Orange mécanique ». J’étais dans une station balnéaire et un cinéma en plein air le mettait à l’affiche le temps d’une soirée. Nous étions quelques années après sa sortie, le film était toujours interdit aux moins de 16 ans et je devais en avoir 15 à tout casser. Je passais devant la caisse fier comme tout, heureux de payer ma place sans obligation de montrer mon pedigree. Et, pendant tout le temps du film, je restais sans bouger de peur qu’on ne vienne me foutre dehors à grands coups de pied dans le train pour cause d’infraction au code de moralité instauré par l’État et le CNC.
Orange Mécanique et Beethoven
« Orange mécanique »… Ce film, je l’ai visionné plusieurs fois depuis et c’est cette première séance qui me reste en tête. Dans son ensemble. Quand je l’ai revu de nombreuses années plus tard, je me suis étonné de m’en souvenir aussi fidèlement, tant le film m’avait marqué. Non pas parce qu’il m’avait choqué mais parce que j’avais découvert un auteur et du grand cinéma. Et une musique qui, ensuite, par la grâce d’un 33 tours, tourna en boucle sur mon électrophone, remettant à la mode autant Gene Kelly et son emballant « Singin’ in the Rain » que le « Pomp and Circumstance » d’Elgar, l’ouverture du « Guillaume Tell » de Rossini avec sa scène de baise en accéléré ou la 9e de Beethoven. Le tout mélangeant grande musique classique et synthétiseurs.
La force de Kubrick était de parvenir à nous rendre sympathique cet odieux personnage qu’incarnait à la perfection Malcolm McDowell, au point de le plaindre quand, à son tour, il était lui-même victime de tortures.
Oui, j’avais 15 ans et c’était vraiment nos sentiments, nos sensations, nos sens qui étaient interdits de vision. La violence d' »Orange mécanique » rendait possible une réflexion sur la société sans susciter pour autant des envies de meurtres… Et puis, soyons sérieux, on sait très bien aujourd’hui que celles-là sont plus créées par le plongeon dans des livres religieux que par le visionnage de films de Kubrick ou la lecture de Sade.
Images chocantes