Évoquer « L’exorciste », c’est penser aussitôt à la tête de Linda Blair qui tourne à 180°, vire au vert et crache une bave plus proche de l’antigel et du liquide de refroidissement que de la simple salive. Regardez-la : elle se tortille sur son lit en gueulant que votre mère suce des bites en enfer. Détournez le regard et levez les yeux au plafond : elle est encore là à ricaner comme une gargouille sur les hauteurs de Notre-Dame.
MFAM #9 – L’EXORCISTE – William Friedkin
Friedkin et Oldfield
A sa sortie en 1973, le film eut aussi, en plus du box-office, un succès certain dans les cours de récréation. Je le sais, j’y étais. Personne ne l’avait vu et, en fait, personne ne pouvait le voir vu son interdiction aux moins de 16 ans. Alors on se vantait, renseignés qu’on était par les grands frères, les grandes sœurs, les cousins ou les menteurs qui déclaraient sortir de la salle. Les activités de la mère en enfer étaient reprises en chœur et faisaient rigoler… et tressaillir, car on n’avait encore peu entendu de dialogues aussi corsés à cet âge-là. La réputation du film gagnait tout le monde et rien que d’en parler, on avait la trouille. On disait que des ambulances attendaient devant les cinémas les spectateurs/trices secoué(e)s, terrifié(e)s, accablé(e)s, à l’agonie. On se sentait pris de frissons rien qu’en entendant le « Tubular Bells » de Mike Oldfield.
« L’exorciste » fit tellement parler de lui que la légende hollywoodienne s’empara de sa jeune interprète. Linda Blair avait 14 ans aux prunes et était, disait-on, traumatisée par son rôle. Elle regrettait d’avoir joué un tel personnage elle qui, soi-disant, rêvait plutôt de nunucheries disneyennes. Linda aura d’ailleurs du mal à reprendre son souffle et, à part une resucée de « L’exorciste » par John Boorman, ne fera pas grand chose de marquant, traînant dans des nanars ou obligée de se parodier. Comme dans « Repossessed » (1990) où, à nouveau possédée, elle est prise en main par un exorciste joué par Leslie Nielsen. Y’a-t-il un flic pour sauver la carrière de Linda Blair ?
Ta mère suce des bites en enfer
Reconsidérer le film aujourd’hui amène plusieurs interrogations. Certes, les trucages étaient réussis mais comment un tel film, malgré son générique (William Friedkin à la réalisation, Max von Sydow parmi les interprètes) a-t-il pu générer autant d’engouement, de suites, de remakes non-officiels ? Le combat du Bien contre le Mal, de l’Église contre le Démon, avec un scénario trempé parfois dans l’eau bénite, pouvait-il trouver un écho dans le monde de 1973 ? Faut croire que oui. Qu’expliquait-il aux Américains ? Justifiait-il leur présence au Vietnam – sans doute que les G.I., filmés par les actualités en train de napalmer des fillettes courant nues sur les routes au-delà du 17e parallèle, étaient eux aussi possédés ? Le monde allait mal, certes, mais il pouvait être guéri. Malheureusement, par la religion !
Plus de quarante ans après, le film est devenu un classique et remporte toujours autant de succès. Bon, c’est vrai que le monde va toujours aussi mal. Et que la religion n’a fait qu’empirer. S’en remettre à un crucifix pour combattre le Démon est toujours aussi ridicule. Mais les trucages sont toujours là : la tête de la pauvre Linda qui tourne sur elle-même, le jet d’antigel, le pipi en plein milieu du salon, la mère qui suce toujours des bites en enfer, les meubles qui volent, les pauvres curés qui se signent tandis que la pièce entière est prise de secousses et que la petite Linda se couvre de pustules en lançant dans leur direction une langue digne d’un caméléon… Quoi qu’on fasse, dise ou pense : « L’exorciste » fera peut-être ricaner mais toujours frissonner.