MFAM #4 – THE CAMERAMAN – Edward Sedgwick
Buster, toujours imperturbable, toujours formidable
Des fois on se demande bien si le mauvais esprit sportif n’a pas tout contaminé, y compris la culture. Évidemment, si vous êtes supporter lyonnais, vous ne pouvez encadrer ni l’OM ni le PSG, passe encore, mais le simple nom de Saint-Étienne vous refile de l’urticaire et une chiasse carabinée. Bon, ça les regarde et on s’en contrebalance complètement. Mais expliquez-moi alors pourquoi on s’est cru obligé de placer nez à nez Beatles et Rolling Stones et d’affirmer que, si on aime les uns, on ne peut supporter les autres ? Qu’est-ce que ça peut foutre d’apprécier à la fois « Sgt Pepper’s » et « Let It Bleed », « Let It Be » et « Sticky Fingers » ? Et pourquoi vouloir placer sur le même ring Keaton et Chaplin et vouloir forcément que l’un des deux sortent k.o. de la rencontre ?
Parlons-en, justement, de ces deux-là ! Pour tout vous dire, j’adore Chaplin et j’adore Keaton. Des fois, je me dis que je préfère Keaton, je pense à « La ruée vers l’or », « Les lumières de la ville », « Les temps modernes » ou « Le dictateur » et je me dis que Chaplin est un très grand. Oui mais on peut aussi parler des « Lois de l’hospitalité », de « Sherlock Junior », du « Mécano de la General » ou de « La croisière du Navigator » et on se dit que, merde, Keaton, c’est quelqu’un !
Parmi tous les films génialissimes du Buster, il y en a un, sans doute plus mineur, que je classe parmi mes préférés et qui n’est même pas de lui mais d’Edward Sedgwick, un cinéaste avec qui il a tourné plusieurs fois. Un film muet qui date de 1928 et qui s’intitule « The Cameraman », en français « L’opérateur » ou « Le caméraman », et qui donnera suite à « Spite Marriage » (1929, « Le figurant ») et « Free and Easy » (1930, « Le metteur en scène »).
Buster Keaton, téléphone !
Une fois de plus, l’imperturbable Buster est amoureux d’une fille (Marceline Day). Si son visage reste impassible, son corps, lui, crie son amour. Il n’est qu’à voir cette formidable séquence dans laquelle Buster, qui vit en étage, veut passer un coup de fil à sa chérie pour obtenir un rendez-vous avec elle. L’immeuble est vu en coupe, c’est à dire que la caméra peut suivre frontalement la descente de Buster d’étage en étage. Quand il arrive au téléphone, situé au rez-de-chaussée, une voisine a pris l’appareil avant lui. Alors, la tête dans ses pensées amoureuses, il remonte, remonte, remonte, loupe son étage, arrive sur la terrasse et commence à escalader un parapet avant de se casser la figure et de comprendre où il se trouve. Alors qu’il redescend chez lui, il apprend par sa logeuse qu’on le demande au téléphone, toujours au rez-de-chaussée. Il active la descente, passe à toute blinde un étage, deux étages, trois étages, parvient au téléphone et le dépasse, arrive dans la cave et est prêt à descendre encore avant de se rendre compte où il est.
Il remonte donc et peut enfin discuter avec Marceline au téléphone. Celle-ci lui annonce qu’elle est libre pour le fameux rendez-vous. Fou de joie, Buster arrache le téléphone, tend le combiné à sa logeuse et se met à courir dans la rue tandis que Marceline continue à lui parler. Il court, court, passe devant un flic suspicieux — Buster a toujours eu du mal avec cette corporation — court encore et, alors que Marceline, toujours suspendue au téléphone, semble étonnée de ne plus avoir d’interlocuteur, Buster surgit derrière elle. On lit sur les lèvres de la jeune fille « Allo, allo ». Désolée, elle se retourne… et se retrouve nez à nez avec celui qu’elle venait d’avoir au téléphone.
Buster, mon gars, t’es le meilleur. En tout cas, l’un des plus grands !