Boxe Office
Le hasard a fait que j’ai lu coup sur coup « Raoul Walsh et moi » de Louis Skorecki, le journaliste de Libé, et « Mister Everywhere », livre d’entretien de Pierre Rissient avec le journaliste Samuel Blumenfeld. Disparu en 2018, Rissient était un grand cinéphile, distributeur, producteur et cinéaste, ami de Clint Eastwood. Il ramena dans les cinémas parisiens, dans les années soixante, les vieux taureaux qu’étaient John Ford, Fritz Lang et Raoul Walsh.
Je garde en mémoire l’image d’un Bouddha boudeur, croisé lors de conférences de presse cannoises, comme celle avec Norman Lloyd, en 2012. Acteur chez Hitchcock et réalisateur de 19 épisodes d' »Alfred Hitchcock présente », Lloyd mourut en 2021 à 106 ans passés — il en aurait eu 107 six mois plus tard. Si je compte bien, Lloyd avait donc à l’époque, en 2012, 98 ans et il était très alerte tandis que Pierre Rissient, qui était à côté de lui, s’était endormi. Paix aux cendres de ces deux grands messieurs.
Mais ce n’est pour parler ni de l’un ni de l’autre que je viens perturber votre quiétude mais bien pour remettre à l’honneur le grand Raoul Walsh et l’un de ses nombreux chefs-d’œuvre, « Gentleman Jim ». Car, si vous avez bien suivi, Skorecki et Rissient vouaient un culte à l’un des plus grands borgnes de Hollywood — avec John Ford, Fritz Lang, Tex Avery et André De Toth, les autres mousquetaires à œil unique.
Pour le plaisir
Et donc, pour le plaisir — comme me souffle à l’oreille Herbert Léonard —, j’ai ressorti de ma vidéothèque le DVD de « Gentleman Jim ». Quel pied ! Quelle intelligence ! Comme il était bon, le cinéma américain de l’époque (nous étions en 1942).
Nous sommes à la fin du XIXe siècle à San Francisco et James J. Corbett, incarné par le fringuant Errol Flynn, est un jeune homme qui s’ennuie dans la banque où il travaille et qui rêve d’autre chose : la boxe. Le film raconte son parcours jusqu’au titre de champion du monde avec beaucoup de bonhommie, d’humour et d’humanisme. Jeune homme pauvre, Jim veut sortir de sa condition et se comporter comme un véritable gentleman. Ceux auxquels il est confronté dans le club huppé où il parvient à se faire inscrire ne le voient pas toujours d’un bon œil mais l’ironie de Walsh est toujours en alerte. En un dialogue ou deux, il rappelle que ces riches sont eux-mêmes d’anciens pauvres qui ont su gagner de l’argent et profiter du capitalisme. Et n’ont donc aucune leçon à donner à Jim. C’est aussi une façon de dire qu’en Amérique, tout est possible et que le plus loquedu peut réussir sa vie et concrétiser ses rêves.
La grâce d’Alexis Smith
Bien sûr, une jeune fille, dont le père dirige la banque où travaille Jim, est irritée par l’arrogance du jeune homme. Elle a la grâce d’Alexis Smith. On se doute que l’un et l’autre se tomberont fatalement dans les bras et on suit avec beaucoup d’intérêt les phrases assassines qu’ils se balancent tout au long du film.
Un poing c’est tout
Walsh, c’est connu, aime la truculence, les bons vivants et les gros buveurs et il peuple son film de ces gaillards irlandais (la famille Corbett), toujours prêts à s’en jeter un derrière la cravate, à rigoler et à se retrousser les manches pour aligner des pains dès qu’on les taquine un peu trop. On retrouve avec bonheur, dans le rôle du papa Corbett, le grand Alan Hale qui fit une belle carrière au sein de la Warner, le studio pour lequel a été tourné ce « Gentleman Jim ». C’est lui qui, par exemple, jouait Petit Jean dans « Les aventures de Robin des Bois » en 1938, toujours aux côtés d’Errol Flynn.
Quand John L. combat James J.
Il faudrait aussi parler de John L. Sullivan (Ward Bond), grand boxeur que Corbett parviendra à battre et de l’émotion que Walsh sait susciter à ce moment-là. Les personnages existent réellement, ils ont de l’épaisseur, de la consistance. N’oublions pas que, parmi les scénaristes, on retrouve l’écrivain Horace McCoy, l’auteur d' »On achève bien les chevaux ».
Rien n’est à jeter, dans « Gentleman Jim », si ce n’est peut-être les grimaces et l’air ahuri de Jack Carson, qui joue l’ami de Corbett et qui avait fait de cela son fond de commerce. Après tout, il a certainement pu servir de modèle à Jerry Lewis et Jim Carrey, aussi ne lui jetons pas trop la pierre, Pierre — oh là là, c’est comme si j’avais l’honneur de parler à Rissient.
Bref, comment expliquer le plaisir à revoir « Gentleman Jim » ? Je me suis revu ado, quand je découvrais ces merveilles à la télé, au Ciné-club de la 2 ou au Cinéma de minuit de la 3. Bien sûr, ça fait dinosaure aujourd’hui, quand on évoque ces choses-là ! Mais je vous emmerde et je continuerai à toujours garder l’œil ouvert devant les films de Walsh, de Ford, de Lang, de De Toth, d’Avery et de quelques autres.
À noter encore que « Gentleman Jim » est l’un des premiers grands films sur la boxe, si l’on met à part les versants comiques du noble art quand sur le ring se retrouvent Charlie Chaplin (« Charlot boxeur », « Les lumières de la ville ») ou Buster Keaton (« Battling Butler »). Sans aimer particulièrement ce sport, j’avoue mon attirance pour les films parlant du noble art, avec leur façon de filmer les combats et, surtout, de montrer combien les boxeurs peuvent être des victimes du système : entraîneur, bookmaker, matchs truqués, intervention de la mafia, etc.
Quatre boules de cuir
Le cinéma américain s’est très souvent emparé de ces thèmes et les films sont brillants : citons « Le champion » (1931) de King Vidor avec Wallace Beery, « Body and Soul » de Robert Rossen avec John Garfield, « Le champion » (1949) de Mark Robson avec Kirk Douglas, « Nous avons gagné ce soir » (1949) de Robert Wise avec Robert Ryan, « Plus dure sera la chute » en 1956 avec Humphrey Bogart, encore signé Mark Robson. Et encore « Marqué par la haine » (1956) de Robert Wise avec Paul Newman, bien sûr « Raging Bull » (1980) de Martin Scorsese avec Robert De Niro sans oublier la série des « Rocky » de Stallone, démarrée en 1976. Bien sûr, j’ai mes préférés et j’avoue qu’avec « Gentleman Jim », j’adore « Nous avons gagné ce soir » et « Raging Bull ». Surtout le premier, avec ce boxeur isolé qui a osé défier la mafia et ces spectateurs que Wise filme sans complaisance, étalant la cruauté de ceux qui restent à l’abri des coups sur leurs sièges. Il ne faut pas non plus oublier la version féminine que donne de la boxe Clint Eastwood avec son génial « Million Dollar Baby ». Des films auxquels on peut penser en écoutant « Quatre boules de cuir » de Nougaro.
À moins que ce ne soit « 15e round » par Lavilliers
Au contraire de ces derniers titres, « Gentleman Jim » n’est pas un film qui dénonce. L’art est encore noble, les boxeurs ne jouent pas leur vie et ne s’opposent à aucune mafia. Le film sort en novembre 1942, soit près d’un an après Pearl Harbor. Tout semble fait alors pour que l’on pense à un paradis perdu, une époque où les seuls combats se règlent aux poings et en suivant le code d’honneur du marquis de Queensberry, un temps où l’insouciance affichée par Errol Flynn ressemble à un dernier souffle d’air frais avant les remugles des charniers.
Wow, voilà un article qui m’a mis dans les cordes ! Grand film en effet (que de souvenir les ciné-club de la 2 et de la 3) que ce « Gentleman Jim », effectivement un des grands titres du film de boxe et surtout une merveilleuse collaboration entre Raoul Walsh et Errol. Ces deux-là partageaient un même goût pour les alcools fort si j’en crois l’excellente autobiographie de Walsh (lecture que je recommande en complément de Rissient) et ont tourné un paquet de bons films (notamment les excellents « Objective Burma ! » un de mes films de guerre préférés et bien sûr « they died with their boots on » sur le fameux épisode Custer). Je crois que Flynn trouvait ce nouvel ami borgne bien plus drôle que le Hongrois râleur avec qui il a pourtant tourné « Robin des Bois » et un paquet d’autres. Pour revenir à « Gentleman Jim », je me souviens d’une séquence de boxe sur le fleuve dans « Gangs of New York » de Scorsese qui ne manquait pas de rappeler le bon souvenir de Walsh.
Enfin, si je dois ajouter un excellent film de boxe à très impressionnante liste, je me permets d’ajouter le remarquable « Fat City » de John Huston avec Stacy Keach et Jeff Bridges.