Deep Purple, Child In Time
La chanson de ce vendredi n’est pas n’importe quelle chanson. C’est cette chanson, Child In Time, par ce groupe Deep Purple (Mark II, peut-être le meilleur) , dans cette version, enregistrée live en 1970 lors d’une émission télé. Ce n’est pas du playback, tout est en direct, joué sur le fil du rasoir.
Tout Deep Purple est dans cette chanson
La virtuosité, le sens de la mélodie, le hard rock dont ils vont être les précurseurs et les dignes représentants avec Led Zeppelin et Black Sabbath, le solo de guitare, la voix, le côté épique de ce morceau qui dure près de 10 minutes et durant lequel on ne s’ennuie pas une seconde, subjugué par la maîtrise des cinq musiciens qui semblent n’en faire qu’un. On est en présence de la formation Mark II de Deep Purple avec Ian Paice à la batterie, Ian Gillan au chant, Roger Glover à la basse, John Lord aux claviers et Ritchie Blackmore à la guitare. C’est cette formation qui pondra Smoke On The Water, Strange Kind Of Woman, Highway Star, Lazy, les albums In Rock, Machine Head, Live In Japan témoin génial d’une tournée de 48 semaines. Et puis l’année 1970, début d’une décennie riche musicalement en grands artistes et grands albums.
Le morceau commence avec l’orgue trafiqué de John Lord. Un orgue relié à un ampli Marshall pour lui donner plus de puissance, plus d’attaque et mieux le marier à la guitare de Blackmore. Lord attaque avec un petit solo en douceur, une petite impro autour du thème principal accompagné par les cliquetis de Ian Paice sur ces cymbales et quelques accords discrets de basse et de guitare. Les nappes de John Lord se feront plus discrètes mais toujours présentes comme fondations du morceau.
Wait for the ricochet
Les 4 préparent le chemin en douceur pour le chant de Gillan. Le chanteur commence à raconter l’histoire de cet enfant, de la guerre, des balles qui sifflent. C’est lourd, pesant et pourtant Ian Gillan se fait dentellier pour broder sa mélodie autour de ses compères. Puis son chant se transformera en râles puis en cris de plus en plus puissants. Dans cette chanson, dans cette version, Ian Gillan est au sommet de son art. Il a dressé sa voix, la maîtrise au millième de ton près. Malgré la puissance de son chant, bouche, lèvres, langue sont relaxes, il dompte son vibrato et mate son falsetto. Sa voix de tête vogue sur les sommets, il prend du plaisir sans se soucier de la technique car c’est la passion qui le guide.
Premier break de la chanson. Le chant se retire pour le pont musical. Le tempo s’accélère et la rythmique fait son office. C’est la cavalcade, la chevauchée des lads qui rient. Basse et batterie se font forgerons pour soutenir solos de claviers puis solo de guitare de Ritchie Blackmore qui fait courir ses doigts sur le manche de sa Gibson (j’ai mis Gibson comme j’aurais pu mettre Gibson ES-335 tant j’y connais rien en guitare). Il joue d’une main, de deux, il fait pleurer puis hurler sa guitare, le tout avec facilité et décontraction montrant du plaisir et de la maîtrise. La petite mélodie de fin de solo annonce le calme après la tempête car tout s’arrête d’un coup. C’est le break II.
Le moment de retrouver le thème principal à l’orgue de Lord puis Ian Gillan là où on avait laissé. Il reprend la chanson en douceur toujours grand master de sa voix puis le chant tourne en râles, les râles se transforment en cris. Il veut entendre chanter cet enfant, il le clame haut et fort pour couvrir le son des canons, les bruits de la guerre. L’œuvre, car il s’agit bien d’une œuvre plus qu’une simple chanson, se termine dans un maelstrom de rythmes, de cris, de sons pour nous laisser, nous auditeurs et spectateurs, bouche-bée, épuisés, émerveillés. C’est fini. On en veut encore alors on repart au début. On ne s’en lasse pas. Ce titre est un standard du répertoire du Pourpre Profond et du rock en général.
Deep Purple In Rock
Un standard que dis-je ? Un classique. Cité par Houellebecq dans son roman Sérotonine de 2019, repris par les plus grandes gâchettes du métal et de la guitare, terrain d’essai pour jeunes chanteurs en herbe (et c’est d’la bonne !), samplé par Big Audio Dynamite dans Rush.
Le seul souvenir précis que j’ai, c’est un enregistrement de Child in time, un pirate réalisé à Duisburg en 1970, la sonorité de ses Klipschorn était vraiment exceptionnelle, esthétiquement c’était peut-être le plus beau moment de ma vie, je tiens à le signaler dans la mesure où la beauté peut servir à quelque chose, enfin on a dû se le passer trente ou quarante fois, à chaque fois captivés, sur le fond de la calme maîtrise de Jon Lord…
Michel Houellebecq, Sérotonine, Flammarion, 2019, p. 254
Le titre est extrait du 4ème album de Deep Purple, In Rock considéré un des 1001 albums qu’il faut avoir écoutés dans sa vie selon Robert Dimery. Vous savez ce qu’il vous reste à faire. Quant à la chanson, Ian Gillan explique sa conception dans une interview de 2002 :
Cette chanson a deux faces — la musique et le côté lyrique. Sur le plan musical, il y avait cette chanson Bombay Calling d’un groupe appelé It’s A Beautiful Day. C’était neuf et original, quand Jon Lord le jouait un jour sur son orgue, ça sonnait bien, et on a pensé jouer avec, la changer un peu et faire quelque chose de nouveau en gardant ça comme base. Je n’avais jamais entendu l’original Bombay Calling. Nous avons donc créé cette chanson en utilisant le thème de la guerre froide et avons écrit: « Sweet Child in time, You’ll see the line. » C’est ainsi que le côté lyrique est entré en jeu. Ensuite, Jon a préparé les parties pour orgue et Ritchie, les parties pour guitare. La chanson reflète fondamentalement l’atmosphère du moment et c’est pourquoi elle est devenue si populaire.
Ian Gillan