Vive la modernité !
Cannes… Oh oui, Cannes, cela fait plusieurs décennies que j’y vais. Sans doute même avant l’invention du cinéma. Son festival international du film, je l’ai fait dans tous les sens, en ai vu les évolutions, les améliorations et les détériorations d’une année sur l’autre.
Créé en 1939, réellement commencé en 1946, le festival s’est interrompu il y a deux ans pour cause d’épidémie et, l’année suivante, en 2021, s’est tenu au mois de juillet. Vu la difficulté à trouver une location au mois de mai, époque normale de la manifestation, autant dire qu’en été, avec tous les vacanciers, cela relevait de la mission impossible. Bonjour Monsieur Phelps, vous allez devoir vous trouver un logement dans la cohue cannoise du festival et des juillettistes sans qu’il soit trop éloigné de la Croisette ni que cela vous coûte un bras. Bonne chance, Monsieur Phelps. Cette cassette va s’autodétruire et vous péter à la gueule dans quelques secondes et ne comptez pas sur le Département d’État pour vous tirer de la mouise en cas de pépin. Et, en plus, avais-je envie d’ajouter, je ne suis pas Peter Graves et encore moins Tom Cruise.
Je revenais donc cette année, après deux ans d’absence, le cœur léger. Une sorte de manque que tout festivalier ressent à l’annonce des films en compétition et du jury et qui se met à compter les jours sur ses doigts.
Dès le mois d’avril 2022, une première alerte aurait dû me mettre la puce à l’oreille. Désormais, tout festivalier devra réserver ses places sur un site Internet. D’ordinaire, cela changeait d’une catégorie d’accrédités à l’autre, la plupart devant demander lesdites places sur les ordinateurs du palais et les retirer le lendemain. Sauf la presse qui, grâce à son badge, pouvait passer sans aucun ticket. Voilà-t-y pas qu’en 2022, ces chers privilégiés dont je fais partie devront eux aussi avoir leur ticket ?
Bon, me dis-je, pourquoi pas ? D’autant plus que la billetterie étant accessible dès le samedi avant la cérémonie d’ouverture du mardi soir, j’ai déjà pu récupérer deux places: une pour « For the Sake of Peace », documentaire produit par Forest Whitaker, et l’autre pour « Coupez ! », le film d’ouverture.
J’ai mal aux Cannes
Rassuré, j’arrive donc à Cannes. Et là, je me rends vite compte, dès le lundi, donc la veille de l’ouverture, qu’il n’y a déjà plus de place disponible pour le deuxième jour du festival. Ouate ze feuque ? On entend parler d’un bug informatique malveillant, le site change mais le problème demeure. Car, d’ordinaire, on pouvait faire son propre programme et choisir d’aller voir un film de la compétition, d’Un Certain Regard, de la Quinzaine des Réalisateurs ou de la Semaine de la Critique dans le sens où on voulait, sans que personne n’y trouve à redire.
Or là, que s’est-il passé ? Les journées se succédaient ressemblant à du gruyère, porteuses de grands trous pendant lesquels il n’y avait rien à faire, sans aucun film disponible. Puis, soudain, trois créneaux — donc trois films différents — se libéraient au même horaire. Ou vous récupériez un film à 8h30 et le suivant à 22h15. Adieu la liberté de faire son propre programme puisque ce qu’on pouvait visionner nous était imposé. Adieu la possibilité d’aller voir des films avec des amis, vu que chacun se démerdait comme il le pouvait.
L’affiche 2022 du festival de Cannes reprend une image de « The Truman Show ». Gravissant un escalier sur fond de ciel bleu nuageux, Jim Carrey semble ne pas croire, en le touchant, qu’il s’agit d’un panneau peint et non du réel azur. Franchement, cette année, j’ai moi aussi touché ce mur qui me privait de beaucoup de choses, ce plafond de verre infranchissable.
Et dire que Gainsbourg se demandait en son temps qui est in ? Qui est out ? S’il faut constamment garder un œil sur son téléphone pour enfin pouvoir fouler le tapis rouge, autant se joindre à la foule (on the hill) pour les petits gars de Liverpool. Et regretter, comme un vieux con, le temps qui passe.
J’ai effectivement entendu parler de cette galère de reservation de tickets. Mais rien ne m’étonne plus quand je vois que le festival était sponsorisé par tik tok.