Quand on a grandi dans les seventies, nos souvenirs paraissent aujourd’hui antédiluviens. C’est-à-dire d’avant le déluge numérique. Les gamins qui suivent aujourd’hui sur leurs téléphones, dans les cours de récré, les aventures de leur super-héros préféré, un tuto sur « Comment draguer malgré les boutons qui recouvrent votre visage » ou, carrément, un film porno ne peuvent comprendre les amusements qu’étaient ceux de leurs aînés.
Nous, il nous suffisait parfois d’agiter le poing en faisant des bruits de lame pourfendant l’air pour se prendre pour Zorro, avant de s’époumoner joyeusement après « Zorro, Zorro, Zorro », plusieurs fois de suite, bien sûr, comme dans le générique de la série télé qui égayait nos jeudis après-midi.
Je ne sais même plus à quelle époque le jeudi s’est transformé en mercredi comme jour de repos mais, dans l’inconscient de notre génération, est restée l’expression « semaine des quatre jeudis » pour signifier le paradis sur terre.
Ah les seventies !
Ex-fan des seventies, aurait pu me chanter Jane Birkin, où sont mes années folles ? Je dois reconnaître qu’à cette époque, je délaissais la télé pour m’intéresser de plus près au cinéma. Je me souviens même avoir déclaré un certain temps, bravache et rebelle comme je l’étais, qu’il n’y avait que la pub qui était regardable à la télé. Ouah, le culot ! Un Marlon Brando en culottes courtes.
J’avais, quoi ? 13-14 ans ? et il était normal qu’à cet âge-là la pub marque son bonhomme. Parce que, entre nous, la télé c’était quoi, à l’époque ? Il était loin le temps où je me régalais de Zorro. J’avais aussi passé l’âge pour le Club Dorothée ou Goldorak. Les téléfilms me laissaient de marbre et je détestais les émissions de variété — alors qu’aujourd’hui, quand je retombe sur des images des shows de Maritie et Gilbert Carpentier, j’ai la nostalgie qui remonte comme une omelette sur des montagnes russes.
À cause de ma passion dévorante pour le cinoche, les séries TV me passionnaient moins aussi, encore que je prenais plaisir à voir Kung Fu, L’homme qui valait trois milliards, Les rues de San Francisco et même Ma sorcière bien-aimée. Du Petit Scarabée au nez trémoussant de Samantha Stevens, l’éventail restait large. Et il suffit d’écouter les premières notes des génériques pour se replonger dans le bain de notre adolescence.
Page de pub
Mais la pub… putain, la pub. Vous ne pouvez pas comprendre. Déjà celle de Coca Cola, très Summer of Love avec ces bandes de copains qui rigolaient ensemble en se gavant de cette boisson qui allait s’incruster dans leur bide et leur sang et les rendre obèses quelques années plus tard. On se sentait jeunes et d’une époque qui n’avait rien à voir avec celle de nos croulants de parents.
Alors, oui, les pubs référencées pour la boisson gazeuse ou les chewing-gums Hollywood nous faisaient nous sentir jeunes. Et que dire de toutes ces vidéos qui seraient aujourd’hui définitivement bannies de YouTube, contrairement à celles qui montrent des violences ?
Pour Obao, une nana prenait son bain et se massait lascivement à grands coups de gel moussant. Pour Tahiti douche, elles se déshabillaient sous la pluie. Pour Dim, on pouvait lorgner de jolies jambes sous des bas, de jolies fesses sous de petites culottes, de jolis soutien-gorges aussi. Dim et sa petite musique, que l’on dit inspirée par celle du western « Pendez-les haut et court » avec Clint Eastwood, elle-même inspirée d’un autre film, « The Fox ». Ça me donne envie d’ouvrir une parenthèse. Fox signifie « renard » en anglais, n’est-ce pas ? Et en espagnol, comment dit-on ? « Zorro ». Et une boucle de bouclée, une. mais poursuivons.
Et 8 ? Personne ne s’en souvient, de 8 ? J’en ai les larmes aux yeux tant cette pub, découverte dans un ciné en pleine adolescence, est restée gravée dans ma mémoire. Quelques jeunes femmes très mode années 70 gambadaient en soutien-gorge 8, donc, et soudain tombait la phrase : « 8, on est aussi bien avec que sans » et hop, sans crier gare, elles viraient leurs soutifs et se retrouvaient les seins à l’air. Somme toute, ce qu’on voyait sur toutes les plages de France et de Navarre mais le faire là, comme ça, sous vos yeux qui ne s’y attendaient pas, donnait à l’ado que j’étais quelques sueurs froides et une idée de l’infini. Si on peut appeler ça comme ça.
Les seventies, c’était le bon temps
Je m’aperçois que de l’eau a coulé sous les ponts et dans les pastis Ricard et que ces gentillets souvenirs d’enfance pourraient paraître aujourd’hui bien machos, déplorables, de quoi mettre sur le pied de guerre Me Too. Pourtant, nous aussi, à l’époque, on apprenait la vie et ce n’était pas sur YouPorn ou quelque soit le nom du site qui aujourd’hui fait confondre le romantisme amoureux avec n’importe quelle fellation suivie d’une sodomie.
Nous, nous rêvions du corps féminin (ou masculin, peu importe, j’écris féminin parce que je parle pour moi), on le fantasmait, on le découvrait à la télé ou au cinéma à défaut de le voir en vrai. Soyons francs, on le voyait aussi sur les plages, comme je le disais plus haut, et cela nous ouvrait de belles perspectives : on voudrait plus tard aimer les femmes, les adorer, les respecter. Et on l’a fait.
Femmes libérées
Heureusement, me direz-vous, le corps féminin n’est plus aujourd’hui utilisé à des fins mercantiles et c’est tant mieux. Ce qui ne nous empêche pas, nous les dinosaures des seventies aux souvenirs antédiluviens, d’éprouver de la nostalgie en se souvenant des publicités de Dim ou de n’importe quelle marque de soutien-gorges ou de bains moussants, sans parler des plus tardives photos d’Aubade. Qui toutes étaient réalisées par de grands noms : William Klein, Hugh Hudson, Adrian Lyne ou Tony Scott. Voire, à la décennie suivante, Claude Miller, Luc Besson, Jean-Paul Rappeneau ou Bob Rafelson. Ça, c’était juste pour raccrocher au cinéma puisque tous ces messieurs s’y sont aussi largement illustrés. Ah, ces seventies qui combattaient le puritanisme. La liberté des femmes, nouvellement acquise avec la pilule et l’avortement, passait par le corps décorseté, qu’on avait plus honte d’exhiber.
J’y étais!!!