Licence to die
Cette fois, les dés sont jetés. L’agent 007 a flanché devant un ennemi autrement plus redoutable que le Dr No ou Auric Goldfinger. Mais on aurait tort de réduire la carrière de Sir Sean Connery à Bond, James Bond. Ce serait oublier tout le reste. Petit récapitulatif.
On était encore minots. Dans la cour de l’école, une blague faisait long feu pendant un jour ou deux. Puis était oubliée, rattrapée par une autre. Ce jour-là, les yeux pétillants et un petit sourire en coin, un copain vient me demander si je connais la nouvelle. Et si même, avant, je connais Aretha Franklin ?
La chanteuse ? Bien sûr. Est-ce que je sais qu’elle vient de se marier ? Non et, entre nous, je m’en fous. Avec l’acteur ? Quel acteur ? Sans Connery. Tout le monde prononçait ainsi le nom de l’interprète de James Bond. Résumons : Aretha Franklin venait de se marier avec Sans Connery. Arrête la tienne. La mienne, quoi ? Et bien, arrête ta connerie. C’est ce que je te disais, repartait l’autre, elle s’appelle maintenant Aretha Connery.
Qu’on nous pardonne, nous étions jeunes. Minots. Mais Sean Connery était au cœur de nos conversations. Il était James Bond et le serait à tout jamais, malgré George Lazenby, Roger Moore, Timothy Dalton, Pierce Brosnan et même malgré Daniel Craig.
Son nom est Connery, Sean Connery
Pendant longtemps, dans l’esprit de tous et encore aujourd’hui, Connery ne fut que Bond. Un Bond violent et charmeur, avec sa licence de cogner et de tuer et son permis de séduire. Il était classe, sir Sean, et tout aussi crédible quand il distribuait les coups de poing que lorsqu’il se retrouvait au lit avec toutes ces belles James Bond Girls. Parce qu’on l’enviait, le Jimmy Bond, qui avait tenu dans ses bras Ursula Andress, Claudine Auger ou Diana Rigg, j’en passe et des meilleures. À vous donner l’envie d’entrer dans le MI6.
En grandissant, on s’est rendu compte que la carrière de Sean Connery était beaucoup plus vaste que les quelques films qu’il avait tournés dans le rôle de l’espion. Bon, avant « James Bond contre Dr No » en 1962, il est vrai que Sean n’a fait que quelques petites apparitions sans conséquences dans des films anglais. Il est même un soldat dans « Le jour le plus long », la même année.
Où il y a du Sean, y’a du plaisir
Dès 1964, après deux Bond (« No » et « Bons baisers de Russie »), il attaque les choses sérieuses. Il est embauché par Hitchcock pour « Marnie » » (1964), par Sidney Lumet dans l’excellent « La colline des hommes perdus » (1965) ou par John Huston en 1975 dans le non moins excellent « Homme qui voulut être roi ». Un film génial sur la vanité de la destinée humaine et de ses rêves de gloire. Quelle intelligence de la part de Sir Sean, lui qui aux yeux du monde entier était un héros infaillible, d’incarner ici le si faillible aventurier devenu roi du Kafiristan, contrée afghane pas entièrement sortie de l’imagination de Rudyard Kipling.
On sent chez Connery un désir de casser l’image qui l’a rendu célèbre. Il apparaît ainsi dans « The Offence » (1973) de Sidney Lumet, un film sur les violences policières. Puis dans l’étrange « Zardoz » (1973) de John Boorman, un sujet d’anticipation dans lequel il se balade vêtu d’un simple cache-sexe. Une fois qu’il a prouvé qu’il peut jouer autre chose qu’un type en smoking, le voici lancé plein pot dans une très brillante carrière qui va du « Nom de la rose » à « Highlander », d' »Indiana Jones » à « Robin des Bois », du flic des « Incorruptibles » au roi Arthur de « Lancelot ». Son dernier rôle, à part une voix en 2012 pour le premier dessin animé écossais « Sir Billi », sera celui de l’aventurier Allan Quatermain en 2003 dans « La ligue des gentlemen extraordinaires ».
Un gentleman extraordinaire
Il en était certainement un, de gentleman extraordinaire, et son décès le 31 octobre dernier à l’âge de 90 ans nous a surpris. On le croyait immortel, le bougre. mais alors, « Highlander », c’était du flan ? Oui, on a été surpris mais ce trépas nous l’a fait paraître plus grand encore. Et comprendre quelle place de choix il occupait dans le cœur des cinéphiles et des spectateurs du monde entier.
Enfin, on notera un détail amusant. Une curiosité. Outre son fils Jason Connery, lui aussi acteur, Sean Connery avait un frère plus jeune, Neil Connery, de huit ans son cadet. Il serait resté inconnu au bataillon s’il n’avait été engagé, en 1967, dans une production parodique italienne d’Alberto De Martino, intitulée « OK Connery » (en français, c’est devenu « Opération frère cadet »). Dans ce scénario copié des « James Bond », un méchant menace le monde et c’est au frère de l’agent secret le plus célèbre que l’on demande de le combattre. Neil Connery devient, dans le film, le Dr Neil Connery. Évidemment, pour des raisons de droits, on ne peut sans doute pas dire que l’agent secret célébrissime se nomme Bond. Résultat des courses, son patronyme est changé en Connery. C’est pas plus bête que cela. Et si ce Connery est, en 1967, l’agent le plus célèbre au monde, allez vous étonner que, dans les cours de récréation nîmoises, on aille le faire épouser Aretha Franklin. Oui, Aretha Connery, c’est un joli nom. Allez, j’arrête les miennes.