Bébel le professionnel
Dans une séquence fameuse de « Pierrot le fou », Anna Karina se promène sur la plage :
« Qu’est-ce que je peux faire, se lamente-t-elle. Ch’ais pas quoi faire… »
« Silence, hurle Jean-Paul Belmondo assis sur un rocher. J’écris. »
La nouvelle est tombée le 6 septembre : Jean-Paul Belmondo est mort. Faisant du même coup basculer dans les oubliettes de la mémoire un autre acteur, disparu lui aussi ce jour-là : l’Italien Nino Castelnuovo, partenaire de Catherine Deneuve dans « Les parapluies de Cherbourg ». (Le rédac chef met son grain de sel : « Si je peux me permettre et t’interrompre sèchement, ce 6 septembre est mort également Michael K. Williams, superbe acteur qu’on a pu voir incarner Omar Little dans The Wire (magnifique série). J’aimais bien cet acteur, son jeu, sa gueule. Voilà, c’est tout. Tu peux continuer. »)
Donc, Bébel n’est plus et la France pleure, les cinéphiles du monde entier sont tristes. Qu’est-ce que je peux écrire qui n’a pas été déjà écrit ? Ch’ais pas quoi écrire. Le mot d’ordre a été donné. Sitôt la nouvelle tombée, tout le monde s’est mis à citer le titre du film préféré. Pour la plupart des interrogés, il faisait partie de la longue cohorte des succès populaires. Pour d’autres, c’était les œuvres de Godard (« À bout de souffle », « Pierrot le fou » mais jamais « Une femme est une femme »).
Bon, je vous imagine sur les starting-blocks, prêts à me sauter dessus si je ne proclame pas à mon tour mon film préféré. Depuis mon enfance, cela a toujours été « L’homme de Rio ». Aujourd’hui, je pencherais tout autant pour les films d’auteurs : ceux, géniaux, de Godard mais aussi « Le Doulos » de Melville. Et, encore, « Un singe en hiver » et « Week-end à Zuydcoote » de Henri Verneuil. Suivis de plein d’autres.
Finalement, preuve de l’intelligence de l’acteur, la carrière de Bébel s’est toujours partagée entre gaudrioles assumées et rentables et le vrai cinéma d’auteur. Double trajectoire, comme l’acteur était double dans « Le magnifique » : le fringant agent secret et le souffreteux écrivain, auteur des aventures du premier. On pourra préférer l’un ou l’autre de ces versants, en faisant parfois des concessions à l’autre camp.
Trop Bébel pour moi ?
Ainsi je trouve plus intéressantes ses prestations pour Godard, Melville, Louis Malle, Mauro Bolognini, Vittorio De Sica, Claude Chabrol (mais plus « À double tour » que « Dr Popaul »), sans oublier trois Philippe de Broca (« Cartouche », « L’homme de Rio » et « Les tribulations d’un Chinois en Chine ») que la longue litanie essoufflée des « Le quelque chose » : « L’héritier », « L’alpagueur », « Le magnifique », « L’incorrigible », « L’animal », « Le guignolo », « Le professionnel », « Le marginal », etc.
Mais ne faisons pas la fine bouche, ce serait ridicule. On peut tout autant apprécier l’acteur lisant Élie Faure dans une baignoire qu’aplati sur le toit d’un métro, suspendu à un hélicoptère en caleçon à pois rouges qu’en soutane, se saoulant avec Jean Gabin qu’embrassant Jacqueline Bisset, Françoise Dorléac, Ursula Andress ou Jeanne Moreau.
Ce qui est fort, avec Bébel, c’est qu’avec lui on peut essayer de chasser le naturel, il reviendra toujours au galop. Flic, voyou, cascadeur ou interprète de cinéma d’auteur, l’acteur n’appartenait pas à l’Ancienne Vague pas plus qu’il ne se sentait, tel son ami Jean-Claude Brialy, représentant de la Nouvelle. Non, il se contentait d’être lui et c’est ainsi qu’on l’aimait.
Voici quelques années que la profession entière lui rendait régulièrement des hommages mérités. J’en ai vu deux, très émouvants. Le premier se déroulait au festival de Cannes en 2011. Ils était nombreux à être montés sur scène aux côtés de Bébel, pour lui rendre hommage : Claudia Cardinale, Jean Rochefort, Claude Lelouch, Jean-Paul Rappeneau, Guy Bedos, Sami Naceri, Antoine Duléry, Cédric Klapisch, Albert Dupontel, Georges Lautner, Richard Anconina, Nicole Calfan, Charles Gérard, Jean-Pierre Marielle et tant d’autres. Fatigué par l’AVC subi dix ans auparavant, Bébel était ravi, s’appuyant au bras d’une épouse qui prouvait qu’il y avait autant de monde à l’orchestre qu’au balcon.
Belmondo au festival Lumière
La deuxième fois, c’était à Lyon en 2013, au cours du festival Lumière. Quentin Tarantino était l’invité d’honneur et ne devait arriver qu’en fin de semaine. Mais quand il apprit que la soirée d’ouverture se déroulait en présence de Jean-Paul Belmondo, il prit un avion et fit la surprise non seulement à Jean-Paul mais aux plus de 5000 spectateurs de la halle Tony-Garnier. Pendant le vol, Tarantino avait pris soin de composer un petit hommage qu’il lut devant l’acteur fétiche en s’inclinant devant lui. Que celui qui n’a jamais frissonné à l’idée de la filmo vertigineuse de Belmondo lui jette la première pierre.
100 000 mille Dollars au Soleil! Épicétou!