Tous les ans, c’est pareil !
On lit tellement de choses à propos du festival de Cannes, de l’actuel et des éditions précédentes, qu’on en arrive à se demander ce qui pourrait être encore original à raconter.
Sa propre expérience ?
Des anecdotes survenues au gré des festiveaux marins ?
Bon, si vous insistez, pourquoi pas ? Mais n’allez pas dire que j’ai la tête qui enfle, que je me vante d’avoir foulé la Croisette depuis des décennies. Non, c’est juste qu’en y pensant, ça fait toujours marrer. Et ajouter que les deux facettes de Cannes, la glamour et la plus sordide, la plus trash, sans même chercher à connaître cette dernière, sont étroitement liées.
En racontant deux-trois trucs comme ça, qui me reviennent en mémoire, je ne voudrais surtout pas être déplaisant. Les gens de cinéma me fascinent mais ne représentent pas pour moi d’immortelles étoiles intouchables. Non, ce sont des gens comme vous et moi capables de se bourrer la gueule et de faire les cons en soirée.
Clémenti beau et sale gosse
Allez, j’y viens puisque vous insistez. Cela remonte à… pas mal de temps. J’étais dans un cocktail, peut-être scandinave. Ils avaient à cette époque, et encore plus quand ils ont remporté la Palme avec « Pelle le conquérant », des fêtes assez sympathiques en fin d’après-midi d’où l’on pouvait admirer la Croisette en buvant du champagne ou de l’aquavit. Ce jour-là, il y avait du monde et, à côté de moi, Pierre Clémenti était passablement éméché.
Clémenti, ne me dites pas que vous ne savez plus qui c’est. Ce jeune premier beau gosse qui eut son heure de gloire à la fin des années soixante avec « Belle de jour » de Buñuel ou « Benjamin ou les mémoires d’un puceau » de Michel Deville, avant d’aller vers un cinéma beaucoup plus rock ‘n’ roll et périlleux : « Les idoles » de Marc’O, « Partner » et « Le conformiste » de Bertolucci, « Le lit de la vierge » de Garrel, « Porcherie » de Pasolini, « Les cannibales » de Liliana Cavani ou « Cabezas cortadas » de Glauber Rocha. Du pur, du formidable cinéma d’auteur à prise de risque maximum.
Et bien le Pierrot, comme tout un chacun après avoir avalé quantité de verres, avait envie de pisser. Il essaya bien de se frayer un chemin vers les toilettes à travers la foule mais revint dépité : il y avait trop de monde. Alors, le partenaire de Catherine Deneuve et de Michèle Morgan, de Monica Vitti et de Britt Ekland, après avoir menacé de le faire, en rigolant, dans le sac d’une vieille bourge qui s’empiffrait à côté de lui, se soulagea dans une gigantesque vasque de fleurs. Je garde un souvenir ému de ce grand acteur qui, au sommet de sa carrière en France, avait préféré l’exil en Italie et des films beaucoup plus difficiles.
Vous n’entrez pas !
Et c’est vrai que, quoi que l’on fasse à Cannes, d’autres sont toujours là pour le voir et s’en moquer. Vous savez que j’eus une invitation à la projection du soir de « Pale Rider », avec montée des marches devant les flashes à la clef. C’était ma première, j’en eus beaucoup d’autres depuis. Je courus à mon appart’ pour me changer. J’avais bien une chemise blanche et un nœud pap’, une veste de costume noire, des chaussures noires et un pantalon noir qui n’avait pas grand chose à voir avec la veste mais qui, bon, était noir. Pas le smokinge mais presque !
Les copains qui étaient avec moi — nous nous étions surnommés « les Pieds-Nickelés » — n’ayant rien à se mettre, avaient été chargés de rester dans la foule et de me photographier. Je passai le premier contrôle – génial ! — puis le second et me retrouvai en bas des marches pour m’apercevoir que le grand Clint avait commencé son ascension et était à quelques mètres de moi. À cette époque lointaine, sans doute que les équipes ne montaient pas à la toute fin, enfin, bref, Eastwood était devant moi. J’arrivai tout en haut du tapis rouge, prêt à entrer dans le palais sur les talons de mon héros. J’avais mon accréditation, j’avais mon billet d’entrée, le plus gros avait été fait et…
Le gardien, à la porte, me dit : « Vous n’entrez pas ! »
Pardon ? Pourquoi ? Keskidi ?
« Mettez-vous sur le côté, vous ne pouvez pas entrer, vous portez un jean ! »
« Mais, pleurnichai-je, j’ai un pantalon noir ! »
« Oui, mais en toile de jean. Laissez passer les autres spectateurs, s’il vous plaît. »
Et je me retrouvai dans un coin, puis redescendis tout penaud les marches.
That’s Cannes, folks !