Putain, je suis jaloux ! Je viens de lire l’excellente chronique de mon ami Globrocker. Avec un mec que personne ne connaît, Chris Farlowe, et un disque dont tout le monde se fout, ce salaud (dans le sens lelouchien du terme, Salaud, on t’aime) parvient à nous intéresser, à nous emballer, à nous faire avaler le tout comme du petit lait. Ça parle aussi de lui, d’expériences malheureuses, de temps maussade et de musique. Merde, faut être à la hauteur !
N’allez pas croire, bande de petits saligauds (j’ai l’insulte facile en ces temps de fête et de remaniements sociétaux) qu’il existe une compétition entre Globrocker et Kanibalekter. Mais, bon sang, la liste de Mes Disques A Moa ! s’allonge comme un ver solitaire dans l’estomac d’une victime de cysticercose humaine. Tandis que la mienne, peuchère, la mienne de liste de Mes Films A Moa !, elle a tendance à stagner ces derniers temps et à se couvrir de larves de moustiques-tigres.
Vous ne perdez rien pour attendre, je vais vous pondre le contraire de l’article sur Chris Farlowe. C’était un album ? Ce sera un film. C’est un illustre inconnu ? Je vous poserai des stars internationales sur le devant de la scène. Il pleuvait ? Il fera beau. Il y était, le Glob ? Moi, comme je n’y étais pas, alors j’inventerai.
C’est parti, accrochez-vous.
Une avant-première parisienne avec des stars
Il avait fait beau et chaud, ces derniers temps. Mais quand je parle de chaleur, c’était une chaleur incroyable puisque, dès le mois de février — photo à l’appui — les reporters publiaient dans les journaux des images de Parisiens en maillot. À la mi-février ! On parle de glaciations dans les temps géologiques, c’est à se demander si, aujourd’hui, nous n’allions pas vers un réchauffement climatique. Moi, je vous dis ça comme ça, je ne suis pas expert en météo. C’est d’une autre date dont je voudrais vous parler, celle du 20 mai 1950.
La femme avec qui je vivais à l’époque, mère de mes 18 premiers enfants qu’elle rangeait par ordre alphabétique dans les tiroirs de notre commode — nous vivions alors chichement par manque d’argent — m’avait forcé à trouver un boulot stable et j’avais décroché un poste d’ouvreur au Berlitz. Je parie que vous ne savez pas ce qu’est le Berlitz, bande d’ignares. Un magnifique palais construit dans les années trente à l’angle du boulevard des Italiens, de la rue Louis-le-Grand, de la rue de La Michodière et de la rue de Hanovre. Vous imaginez l’importance du bâtiment ! Et bien sûr, on oubliera que c’est ce même bâtiment qui accueillit l’exposition nazie sur « Le Juif en France ». Ne remuons pas le passé.
Autant en emporte le vent
Cela faisait des années, pendant l’occupation et la venue de tous ces Fridolins dans les rues de la capitale, que nous n’avions pas vu de films américains. Depuis la fin de la guerre, ils arrivaient au compte-goutte et, en ce 20 mai 1950, c’est un grand film sorti dix ans auparavant et dont nous avions été privés qui devait être présenté au Tout-Paris en avant-première. Autant en emporte le vent. Le président Vincent Auriol serait là, accompagné par Madame Michèle. Plusieurs vedettes du cinéma français signeraient des autographes ici et là. De ma place, la porte à gauche de la scène, j’ai reconnu Jean Marais, Michèle Morgan, Danielle Darrieux, Henri Vidal et Micheline Francey, ma préférée. Mais tous les photographes attendaient les vraies stars de la soirée et quand elles arrivèrent, il leur fallut traverser les flashes, les hourras, les mains tendues, les gerbes de fleurs offertes et le crépitement des applaudissements.
Gone With The Wind
Clark Gable, tout sourire, se tenait les mains au-dessus de la tête comme un boxeur sur un ring. Dans son smoking éblouissant, il semblait à l’aise tandis qu’à ses côtés, Olivia De Havilland minaudait timidement. Paris plut tellement à l’actrice qu’elle y vit encore, aujourd’hui âgée de 102 ans. De là où j’étais, les gens debout m’empêchaient de voir qui arrivait du fond de la salle. Cette fois, c’était au tour de Vivien Leigh et de son mari Laurence Olivier. On savait l’actrice malade de la tuberculose mais elle était ce soir-là rayonnante au bras de son Larry, visiblement fier de son épouse.
Vint ensuite Hattie McDaniel, qui joue dans le film la nounou de Scarlett, première actrice noire à avoir obtenu un Oscar.
Tonnerre d’applaudissements également ce qui, la pauvre, la changeait de l’accueil hollywoodien où elle avait été interdite d’accès le soir de la première, à cause de sa couleur. Va falloir qu’ils nous expliquent, les Ricains, ce qu’est exactement ce Pays de la Liberté.
Une absence, de taille, fut toutefois à déplorer, qui créa un frisson dans la foule : celle de Leslie Howard, malheureusement décédé pendant la guerre, son avion abattu par les Boches parce qu’ils croyaient que Churchill était à son bord. Les barbares !
Silence !
Le public s’est enfin assis, les stars aussi. Les lumières s’éteignirent et l’on sentit dans l’assistance une tension palpable, une attente incroyable.
Malgré sa longueur (presque quatre heures), le film passa comme un rêve, tout le monde suspendu aux lèvres de Scarlet, tout le monde admirant en secret la force de caractère de Rhett, son amour pour cette femme courageuse. À l’issue de la projection, tout le monde debout applaudit à tout rompre pendant exactement quarante-et-une minutes. Montre en main.
Un souvenir inoubliable.
Autant en emporte le vent avec Vivien Leigh, Clark Gable, Leslie Howard, Olivia de Havilland, Hattie McDaniel